Pourquoi le Temps passe de plus en plus Vite
Avec le Temps...

Identique pour tous, mais propre à chacun, le temps est mystérieusement inscrit en nous.

"Placez votre main sur un poêle une mmute et ça vous semble durer une heure. Asseyez-vous auprès d'une jolie fille une heure et ça vous semble durer une minute. C'est ça, la relativité". C'est Albert Einstein lui-même qui en parlait ainsi. Lui pour qui la distinction entre le passé, le présent et le futur n'était qu'une illusion ("aussi tenace soit-elle"), qui disait ne jamais se soucier de l'avenir ("il arrive bien assez tôt"), ne pas dormir longtemps mais dormir vite, n'était pas avare en bons mots concernant la relativité de toutes choses, et celle du temps, en particulier. Avec la relativité d'Einstein, il faut faire ses adieux aux référentiels absolus, apprendre à agréger un temps et un espace faisant désormais cause commune dans un grand tout débarrassé de son éther où l'un et l'autre se tordent, s'enroulent et se déforment à qui mieux mieux.
Et, évidemment, prendre de bonnes distances avec le sens commun, celui du temps qui tourne, s'écoule ou se contente de passer, plus ou moins vite nous semble-t-il, selon que l'on se trouve en galante compagnie ou en fâcheuse posture. À notre échelle et sous nos latitudes pourtant, le temps se mesure bel et bien, et même avec une redoutable précision dès lors que nos horloges comptabilisent chaque pulsation atomique. Non content de se laisser mesurer, il est également "ressenti" par ceux qui l'éprouvent. Ainsi serait le temps. Fondamentalement insaisissable, mais bel et bien gravé au plus profond de nous. Parfaitement mesurable, mais fluctuant selon les moments et les âges de la vie.
Comment prenons-nous la mesure de cette grandeur à nulle autre pareille ? D'où vient notre capacité à sentir le temps passer ? Quelle pourrait être la base biologique de cette faculté ? Comment comprendre que le temps semble s'accélérer en nous au fur et à mesure que nous avançons en âge ? Ces questions, qui hantent les sciences de l'esprit idepuis toujours, sont en passe de trouver des réponses singulières. Et particulièrement troublantes.

SCIENCE & VIE > Février > 2010

De la Naissance à la Mort

Si le temps est un phénomène que mesurent les physiciens, il est aussi une perception dont chacun fait l'expérience. Or, les neurosciences lèvent de plus en plus le voile sur cett présence du temps en nous, au point d'élucider pourquoi il nous paraît, au fil du temps justement, filer plus ou moins vite.

"Le temps n'existe pas !". Voici la conclusion terriblement contre-intuitive qui, en 2003, ressortait d'une extraordinaire expérience de physique quantique. À l'époque, cette révélation nous était apparue si sensationnelle qu'elle faisait la une de S&V. Sept ans plus tard, rien n'a changé : il y a effectivement un tout petit peu de temps qui n'existe pas. Des milliardièmes de seconde pendant lesquels des physiciens observant des photons, ne peuvent dire quel phénomène se passe "avant" ou "après" un autre. Et d'en conclure que, dans certaines conditions expérimentales, il se passe bien quelque chose, mais que le temps lui, ,e passe pas. Une étrangeté propre aux lois de la physique quantique et qui échappe, a priori, au monde ordinaire auquel nos sens ont accès. Surtout, voilà qui pose cette question : le temps ne serait-il donc qu'une illusion ? Si le débat divise toujours les philosophes, la science n'offre guère plus de réponse... mais elle a un principe : le temps existe dès lors qu'on peut le mesurer. De la clepsydre antique aux dernières horloges atomiques, l'homme a fait du temps une succession de quantités toujours plus petites, lui permettant d'imposer des durées aux phénomènes. Ainsi sait-on que le cycle jour-nuit dure vingt-quatre heures, qu'il faut une seconde à la lumière pour parcourir environ 300.000 km, etc. Or, cette maîtrise croissante de la mesure du temps en a bouleversé la représentation. Le temps, quantité que l'on mesurait universellement (une minute à Paris n'est pas plus longue qu'une minute à New Delhi) est devenu, avec Einstein, une notion relative. Car des mesures toujours plus précises ont vérifié ce qu'annonçait la théorie de la relativité : deux horloges ne comptent pas le même nombre de secondes dès lors qu'elles s'éloignent ou se rapprochent l'une de l'autre.

QUEL TEMPS PERCEVONS-NOUS ?

À l'instar de la "disparition" du temps observée dans le monde quantique, cette "distorsion" du temps reste, là aussi, tout à fait inaccessible à nos sens. Il faudrait pour cela que nous nous déplacions à des vitesses proches de celles de la lumière.
Dans ces conditions, quel temps percevons-nous alors ? Car, incontestablement, c'est un phénomène que nous percevons au niveau individuel. Mais avec cette particularité que le temps ne passe pas en nous avec la régularité placide des grains du sablier : il est, là aussi, relatif. Chacun en a d'ailleurs fait l'expérience : parfois les heures semblent s'étirer ; parfois, au contraire, elles s'envolent sans qu'on ait, littéralement, vu le temps passer. Et le temps semble s'écouler différemment pour chacun. Certains n'ont nul besoin de montre pour connaître l'heure, d'autres semblent toujours surpris par le temps passé depuis le dernier instant où ils ont consulté un cadran. Le temps serait-il parfaitement subjectif ? Devrait-on dire "chacun ses goûts, ses couleurs... et son temps" ? Pas si vite. Car si l'estimation du passage du temps peut donner des résultats différents selon les individus, elle n'en dépend pas moins de deux principes communs à tous qui commencent à être bien identifiés.
Le premier : le cerveau humain est capable d'une grande précision objective lorsqu'il doit estimer la durée d'un phénomène.
Le second : cette capacité est fragile. Elle est grande si nous prêtons attention au temps, mais s'émousse dès qu'on le néglige, que le cerveau est accaparé par un effort de raisonnement, des émotions... ou modifié par l'avancée en âge.
Cela, ce ne sont pas les lois de la physique qui le disent, mais l'observation minutieuse de nos comportements face au temps dans les laboratoires de psychologie expérimentale, et les progrès récents des neurosciences, qui dévoilent peu à peu les rouages cérébraux de l'horloge humaine. Laquelle fonctionne selon une mécanique précise. L'activité électrique de certains neurones se manifeste pendant une infime fraction de seconde et se prolonge, pour d'autres, durant plusieurs secondes. Et l'ensemble s'orchestre selon une partition minutieuse. Ainsi, des actions aussi essentielles que marcher, saisir un objet en mouvement, discuter, suivre un raisonnement, ne sont possibles que si nous percevons le passage du temps selon différentes échelles, allant de quelques millisecondes à plusieurs minutes, voire plusieurs heures.

Les Étapes de la Perception du Temps
Au fil de la vie, notre perception du temps évolue sous l'effet du développement du cerveau,
puis de l'influence grandissante de la mémoire, et enfin du ralentissement des fonctions cognitives.
De 0 à 18 mois
Le nouveau-né différencie des sons de quelques dizaines de millisecondes. Dès l'âge de 6 mois, cette capacité s'applique aux stimulus visuels. Les durées plus longues échappent à ses capacités de mémoire et d'attention. À partir de 16-18 mois, il peut reproduire une séquence d'actions simples de quelques secondes.
De 2 à 4 ans
De 2 à 3 ans, l'enfant peine à attendre sans rien faire. Incapable de mesurer le temps passé à ne rien faire, il l'occupe en s'activant. Entre 3 et 4 ans, il apprend à estimer des durées de plusieurs secondes. Il ne s'oriente pas dans le temps (après la sieste, il ne sait pas si c'est le matin ou l'après-midi), mais peut associer le matin au petit-déjeuner, le soir au coucher...
De 4 à 6 ans
Vers 4 ans, l'enfant commence à pouvoir attendre sans trop peiner. À 5 ans, il se repère mieux dans le temps, sait si l'instant présent se situe le matin ou l'après-midi, si le goûter vient après le déjeuner. Il peut indiquer quel est le jour de la semaine s'il est associé à une activité précise. À 6 ans, cette capacité est acquise indépendamment d'une activité associée.
À 8 ans
Le temps émerge comme une dimension de la réalité. L'enfant arrive désormais à concentrer son attention sur le temps qui passe, indépendamment de son activité. Il connaît la succession des 12 mois, mais éprouve encore des difficultés à s'orienter mentalement dans l'année. C'est à cet âge qu'un enfant sait, en général, lire l'heure sur une montre.
De l'adolescence à l'âge adulte
Après 11-12 ans, le caractère abstrait et arbitraire du comptage du temps s'affirme : le temps est une dimension continue, mesurable avec des unités (heures, mois, saisons, années...). puis, les événements mémorisés, leur poids relatif, influencent l'évaluation du temps passé : ils deviennent des marqueurs temporels.
Du 3è au 4è âge
La sensibilité aux écarts entre différentes durées s'émousse. Attention, calcul, décisions... ralentissent. La mémoire embrasse une très longue période, où les événements passés semblent plus loin qu'ils ne le sont réellement. Au quatrième âge (plus de 80 ans), les événements passés sont plus difficiles à dater.

DES CHRONOMÈTRES MENTAUX

Serait-ce que nous disposons d'une gamme complète de "chronomètres mentaux", adaptés les uns aux minutes, les autres aux heures, d'autres encore aux années ? En partie, oui. Mais pour des temps très courts, inférieurs à 1 ou 2 secondes, que certaines zones cérébrales semblent" compter" spécifiquement (encadré ->). Au-delà de ces temps très courts, tout se passe plutôt comme si le même mécanisme cérébral s'apparentant à un "chronomètre mental" nous servait pour de nombreux temps... en changeant de rythme, au gré des émotions que nous éprouvons, des efforts physiques ou intellectuels que nous fournissons et... de notre âge. L'avancée en âge ayant ceci de très particulier que le passage du temps paraît y évoluer à sens unique : il accélère...
Pourquoi ? Cette question se pose depuis bien longtemps. En 1892, quand le psychologue américain William James écrivait "qu'un même espace de temps semble raccourcir à mesure que l'on vieillit", les scientifiques pensaient avec lui que plus une personne vieillit, plus un laps de temps de quelques, mois ou quelques années représente une petite fraction de son âge. Dès lors, quelques mois ou années figurent des quantités de temps peu importantes... et semblent donc passer très vite. Autre explication : considérer qu'à partir d'un certain âge, les événements nouveaux se font plus rares, la répétition d'expériences connues plus fréquente - faire les courses, se réunir avec de vieux amis, fêter Noël, un anniversaire... Conséquence : les années se ressemblent, et défilent les unes derrière les autres, sans qu'aucune n'acquière de "poids" particulier dans la mémoire... donnant le sentiment que le flot du temps coule d'autant plus vite que rien de saillant ne le ralentit.

EXPÉRIENCES À L'APPUI

Aujourd'hui, ces deux explications ont toujours cours, expériences à l'appui. Les psychologues Susan Finch et Linda Pring, à l'université de Londres, ont ainsi comparé, il y a dix ans, la manière dont deux groupes d'adultes, l'un de 39 ans de moyenne d'âge, l'autre de 67, dataient une vingtaine événements passés, ayant fait la une des journaux britanniques entre 1977 et 1989 (l'explosion de la navette Challenger, la chute du mur de Berlin...). Résultat : les personnes les plus âgées situaient les événements beaucoup plus loin dans le temps que leur date réelle. Comme si elles avaient l'impression que plus d'années avaient passé depuis chacun des événements de la liste proposée. Autrement dit : comme si leur temps s'était accéléré. Sauf que les deux chercheuses se sont gardées d'une telle conclusion. Elles ont modestement indiqué que leurs résultats "peuvent aider à expliquer que le temps semble passer plus vite en vieillissant".
Une prudence compréhensible, car l'expérience contraire peut aboutir à la même conclusion : si une personne pense d'un événement arrivé il y a cinq ans qu'il s'est produit il y a deux ans (elle fait donc le contraire que le groupe âgé étudié par les deux chercheuses), il y a de grandes chances qu'elle s'étonne, apprenant son erreur, que le temps soit en réalité passé si vite...
Comment éviter ce genre d'ambiguïté ? Les chercheurs en psychologie expérimentale disposent d'une parade : ils s'intéressent non pas à la vitesse du temps telle qu'elle est perçue rétrospectivement, comme le fait l'expérience des chercheuses londoniennes, mais plutôt à la vitesse du temps telle qu'elle est perçue instantanément.

LE TEMPS S'ACCÉLÈRE ?

Il suffit pour cela de demander à des individus d'évaluer la durée de certains stimulus (des sons, des images affichées sur un écran...). La comparaison de ces durées subjectives avec la durée objective des stimuli (celle indiquée par un chronomètre) indique alors la vitesse du passage du temps perçue par chaque individu pendant l'expérience. Inconvénient : cette méthode s'intéresse à la perception de "tranches" de temps qui ne dépassent pas quelques minutes. Avantage : les chercheurs savent précisément ce qu'ils mesurent.
C'est cette méthode qui a permis à Peter Mangan, professeur de psychologie à l'université d'Arizona du Nord, de faire une observation édifiante en 1996. Le chercheur a demandé à deux groupes de volontaires, les premiers âgés de 19 à 25 ans, les seconds de 60 à 80 ans, de "produire" des durées de trois minutes : après le top d'un chronomètre, ayant interdiction de compter les secondes, les volontaires doivent simplement dire "stop" quand ils pensent que 3 minutes se sont écoulées. Résultat : en moyenne, les plus jeunes arrêtent le chronomètre au bout de 3 min et 3 s. Les plus âgés, eux, laissent passer... 40 secondes de trop ! Le chercheur américain a, depuis, reconduit plusieurs fois cette expérience, au point d'affirmer aujourd'hui que "lorsqu'on vieillit, le temps est perçu de manière accélérée. Plus nous avançons en âge, plus nous avons tendance à sous-estimer les durées passées". Une conclusion qui passe par une petite gymnastique logique. Pour P. Mangan, si le temps des plus âgés semble s'accélérer, c'est que, pour une durée donnée, la quantité de temps qu'ils "sentent passer" est moins grande que celle comptée par un chronomètre... ou des sujets plus jeunes. Ainsi, quand des jeunes diront "c'est fini", les plus âgés s'exclameront "déjà !" ... Et auront par conséquent l'impression que le temps est passé très vite.

L'ÂGE MODIFIE LA PERCEPTION

Sauf qu'en réalité, les rapports entre l'estimation du temps et l'âge s'avèrent plus compliqués. Parfois, les personnes âgées sous-estiment le temps... mais parfois non. Tout dépend des situations auxquelles elles sont confrontées. C'est pourquoi John Wearden, professeur de psychologie à l'université de Keele, au Royaume-Uni, estime que "la question de savoir pourquoi le temps semble passer plus vite en vieillissant est une question très subtile, très complexe". Le chercheur a conduit des expériences demandant aux volontaires soit de catégoriser les durées de stimuli comme "courtes" ou "longues, soit de juger la similarité entre deux durées de stimulus. Avec ces tâches relativement simples, s'il observe bel et bien une différence entre jeunes et moins jeunes, c'est plutôt celle d'une baisse significative de la sensibilité d'estimation des durées avec l'âge. Les sujets plus âgés arrivent, en moyenne, à reconnaître une durée précise, ou à classer correctement des durées courtes et longues. Seulement, leurs erreurs sont plus nombreuses et de plus grande amplitude (courbes ->) que celles des sujets plus jeunes. Mais nulle trace d'accélération - ni de ralentissement - du temps.
Curieusement, cette moindre sensibilité à la discrimination de durées plus ou moins longues s'observe non seulement chez les personnes âgées, mais aussi chez les très jeunes enfants. Sylvie Droit-Volet, directrice de l'UFR de psychologie à l'université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand et membre du laboratoire CNRS de psychologie sociale et cognitive, a réalisé ces dernières années les mêmes expériences que le chercheur britannique avec des enfants de 3, 5 ou 8 ans. Seuls les enfants âgés de 8 ans s'approchent de la sensibilité temporelle des adultes. La capacité à mesurer le temps des plus jeunes s'apparente, elle, à celle qu'auraient des sujets de l'âge de leurs grands-parents. Comme si, au début et à la fin de la vie, on retrouvait les mêmes difficultés à évaluer le passage du temps. Faut-il y voir la signature d'un mécanisme dédié à la mesure du temps - notre "chronomètre cérébral" - qui serait encore imprécis avant 8 ans, parfaitement fonctionnel au-delà, puis qui perdrait peu à peu sa fiabilité avec l'âge ? La chercheuse ne va pas jusque-là. Et insiste sur le fait que l'on ne peut réduire la performance à la compétence : "Comme un enfant peut très bien avoir une mauvaise note à son devoir alors qu'il avait bien appris sa leçon, il peut éprouver des difficultés à estimer le temps alors que son chronomètre cérébral lui permet de le faire correctement. Et chez les sujets âgés, l'évolution de la perception du temps est sans doute plus liée à des changements relatifs aux capacités attentionnelles. Etre capable d'estimer sans variation des durées signifie être capable de maintenir son attention de façon focalisée sur l'écoulement du temps, quelle que soit la durée. Or, avec le vieillissement, cela devient plus difficile." Ainsi, quand les chercheurs voient passer le temps différemment chez les plus âgés, ce n'est peut-être pas tant le comptage du temps qui a changé, que l'ensemble du fonctionnement cérébral. "La diminution de la précision avec l'âge est une caractéristique observée pour quasiment toutes les tâches cognitives durant le vieillissement : que l'estimation des durées s'émousse avec l'âge n'a donc peut-être rien à voir avec un mécanisme particulier du passage du temps !", prévient John Wearden.
Comment trouver, alors, la cause des variations de la perception du temps au fil de la vie ? L'une des expériences conduites par Sylvie Droit-Volet donne de précieux indices. La chercheuse a présenté à de jeunes adultes soit des photos de visages de personnes de même âge qu'eux, soit des photos de visages de personnes âgées, pendant des laps de temps différents, leur demandant d'estimer la durée de présentation des photos.

CERTAINES MALADIES CÉRÉBRALES DISTORDENT LE TEMPS
Ne plus réussir à marcher ou à saisir des objets sans trembler, avoir des difficultés d'élocution : des symptômes typiques de la maladie de Parkinson. Entendre des voix, avoir la sensation que son propre corps agit indépendamment de sa volonté : tels sont les symptômes de certains cas de schizophrénie. Deux maladies très différentes, auxquelles les neurosciences trouvent pourtant un trait commun : une altération de certains circuits cérébraux, entraînant une perception défaillante du passage du temps. Mal synchronisées, les commandes nerveuses agissant sur les muscles produisent, da,s la maladie de Parkinson, des gestes et des paroles heurtés, ralentis ou accélérés à mauvais escient. Et lorsque gestes et pensées perdent leur cohérence temporelle, l'impression que certains mouvements ont été provoqués avant d'avoir été décidés peut induire, chez les schizophrènes, le sentiment qu'une volonté extérieure agit à leur place.   F.L.

MODÈLE CÉRÉBRAL THÉORIQUE

Résultat : "La durée de présentation des photos est sous-estimée quand on présente les visages de personnes âgées, détaille la chercheuse. Nous incorporons dans notre propre perception la perception du temps des personnes qui nous ressemblent, y compris leur âge. L'horloge des volontaires de l'expérience s'est mise à 'battre' à un rythme plus lent que la normale, au rythme des personnes âgées."
Cette observation et la majorité des résultats des expériences d'évaluation de durées sont mathématiquement reproductibles dans un modèle de représentation cérébrale du temps régi par une horloge interne. "C'est un modèle métaphorique explique Viviane Pouthas, directrice de recherche au Laboratoire de neurosciences cognitives et imagerie cérébrale du CNRS. Schématiquement, il comporte un 'oscillateur', battant à un rythme variable, mais dont la fréquence moyenne est constante, et un 'accumulateur' recevant les impulsions de l'oscillateur. Les impulsions transitent de l'un vers l'autre via un interrupteur. Oscillateur, interrupteur et accumulateur forment "l'horloge", premier étage du modèle, qui compte le temps lorsque l'interrupteur est femlé. Le contenu de l'accumulateur peut être transmis au deuxième étage du modèle : la mémoire. Le troisième étage est un comparateur, qui évalue les différences entre le contenu de l'accumulateur et la mémoire, mémoire de travail ou mémoire à plus long terme." Que l'interrupteur s'ouvre, sous l'effet de la distraction, ou que le contenu de l'accumulateur soit mal transféré en mémoire ; que la mémoire s'efface en tout ou partie, ou encore que l'oscillateur se mette à changer de cadence... et la perception du passage du temps varie. Malgré sa simplicité, ce modèle est le meilleur dont dispose les chercheurs pour rendre compte de leurs mesures. Et des chercheurs de l'ENS, en France, pensent aujourd'hui pouvoir associer certaines zones cérébrales à ses trois étages. De quoi faire passer la "métaphore" à la réalité biologique... Et trouver des causes tout aussi biologiques au ralentissement de l'horloge interne avec l'âge ? Certains indices portent à le croire. "Quand on demande à quelqu'un de battre un rythme spontané, on voit qu'en général les jeunes adultes battent toutes les 0,6 seconde et les adultes à partir de 60-65 ans plus lentement, plutôt toutes les 0,8 seconde", observe Viviane Pouthas. Quel est le lien entre ces rythmes, ou d'autres rythmes biologiques - comme les battements du cœur, ou les variations de métabolisme avec l'alternance des jours et des nuits - et l'horloge interne du modèle ? "C'est extrêmement difficile à dire, prévient la chercheuse. Mais on sait que l'horloge accélère lorsque la température corporelle augmente. Ou quand vous êtes sous l'emprise de l'émotion : quand vous avez un accident de voiture, vous avez l'impression que ça dure très longtemps, parce que votre 'horloge' va très vite. Or, on observe aussi que le rythme cardiaque s'accélère, et que la réponse électrodermale augmente." Si le vieillissement peut être à l'origine du ralentissement de notre horloge interne, cela reste donc à prouver...

LA CHIMIE DU TEMPS
Café, alcool, tabac, cannabis, somnifères... Autant de substances, licites ou non, qui agissent sur la complexe chimie cérébrale. En perturbant le délicat équilibre des neurotransmetteurs - les molécules qui assurent la communication entre les neurones -, elles ont tantôt un effet excitant, tantôt un effet calmant. Mais ce n'est pas tout : elles influencent aussi la vitesse à laquelle nous sentons passer le temps. Deux types de neurotransmetteurs sont particulièrement liés au passage du temps. Ainsi, l'activité des neurones de notre "métronome" cérébral dépend essentiellement de la dopamine. Les substances qui en augmentent la quantité ou qui s'y apparentent (les excitants, en général) intensifient l'activité du "métronome"... et le temps est, subjectivement, accéléré. Notre capacité à mémoriser des durées est, elle, essentiellement dépendante des quantités de l'acétylcholine dans les neurones du cortex frontal. Si la quantité d'acétylcholine augmente, le temps subjectif passe plus vite que le temps du chronomètre, car les impulsions du "métronome" sont en codées plus vite en mémoire. Certaines substances agissent à la fois sur la perception instantanée des durées et sur leur mémorisation. C'est le cas du cannabis, qui interagit avec la dopamine aussi bien qu'avec l'acétylcholine. Résultat : tout semble aller très vite sur l'instant, mais le repérage dans le temps perd en précision.  F.L.

PERCEPTION OU RÉALITÉ ?

Ce qui n'est pas le cas d'un autre changement des capacités cérébrales avec le vieillissement, dont l'effet sur la perception du temps ne fait plus mystère : "Ce qui est sûr, c'est qu'il y a une diminution, en général, des ressources attentionnelles et l'on sait que la capacité attentionnelle est déterminante dans la perception du temps", souligne Viviane Pouthas. Typiquement, le temps semblera passer plus vite si l'on est pris par une activité exigeant d'être concentré. Une observation systématique en laboratoire, que le modèle "d'horloge interne" traduit par le maintien de "l'interrupteur" de l'horloge en position ouverte, le cerveau mobilisant ses capacités de traitement pour l'activité en cours... et non pas pour compter le temps.
Cette importance de l'attention portée au temps, John Wearden en fait le point essentiel du sentiment d'accélération du temps avec l'âge. Et de citer l'exemple de sa mère, âgée de 87 ans, disant que "les jours semblent n'en plus finir, mais les mois passent comme l'éclair". Un paradoxe qui, selon le chercheur, doit inciter à ne pas limiter les expériences au temps instantanément perçu - malgré leur succès en laboratoire - mais à se pencher sur le temps perçu rétrospectivement. Lequel est, selon lui, bien plus affaire d'inférence que de perception : "Imaginez que vous êtes à une fête. Vous ne prêtez aucune attention au temps. Au moment de partir, vous vous rendez compte qu'il est 3 heures du matin. À cet instant-là seulement, vous inférez que le temps est passé très vite, mais en réalité, vous n'avez jamais eu cette sensation." Comment vérifier cela expérimentalement ? Le chercheur de Keele et un collègue de l'université de Liverpool veulent confier un bracelet électronique à des groupes de volontaires ainsi qu'un questionnaire d'évaluation instantanée du temps ("que faites-vous en ce moment ?", "avez-vous l'impression d'être pressé ?"...). Régulièrement, dans la journée, le bracelet sonnera, et les volontaires devront répondre à quelques questions : "L'idée, c'est que le questionnaire permettra de capturer l'expérience immédiate du temps, indépendamment de jugements rétrospectifs, ou d'inférences faites à partir d'événements de la journée. Et je pense que pour les sujets âgés, le questionnaire montrera que le temps, au fil de la journée, passe lentement."
Cette expérience pourra-t-elle faire enfin la part du sentiment commun et de la réalité des faits ? Peut-être. À condition que des volontaires lui accordent un peu de leur précieux temps.

F.L. - SCIENCE & VIE > Février > 2010

TEST : Estimez votre perception du Temps

    

En général, nous estimons le temps avec précision. Mais plusieurs facteurs - l'âge, la consommation d'excitants, etc. - peuvent fausser notre perception du temps. Alors, votre sens du temps est-il sous influence ? Munissez-vous d'un chronomètre indiquant les dixièmes de seconde... À vous de jouer !

1/ Etes-vous précis ?

Vous allez estimer deux durées : 10 secondes et 30 secondes. Initialisez votre chronomètre : 0h00min00sec00 : Démarrez le chronométrage... et à l'instant où vous estimez que 10 secondes se sont écoulées, stoppez le chronomètre et notez la durée affichée. Renouvelez l'exercice 10 fois, puis calculez la moyenne de vos estimations. Faites ensuite 10 essais, cette fois, en tâchant d'estimer la durée de 30 secondes. Attention : pour que le résultat à ce test - comme pour les suivants - soit probant, vous ne devez compter les secondes ni à haute voix ni mentalement.

Lire les résultats du Test 1

2/ Etes-vous attentif au temps ?

Vous devez cette fois estimer le passage du temps de 30 secondes. Initialisez votre chronomètre. Allumez votre radio sur votre station préférée. Ecoutez attentivement l'émission diffusée. Déclenchez le chronométrage. Continuez à écouter la radio. Stoppez le chronomètre dès que vous pensez que 30 secondes se sont écoulées. Notez la valeur affichée. Recommencez 10 fois l'expérience, et faites la moyenne des valeurs affichées par le chronomètre.

Lire les résultats du Test 2

3/ Etes-vous sensible aux excitants ?

Buvez un café serré ou un thé bien infusé. Juste avant de commencer le même test que "1/ Etes-vous précis ?", pour la durée de 30 secondes.

Lire les résultats du Test 3

4/ L'exercice physique accélère-t-il votre horloge interne ?

Pour ce test, ce n'est plus seulement la tête mais aussi les jambes qui comptent : effectuez une course rapide (de type sprint sur 100 mètres), puis, immédiatement, faites le même test que "1 - Etes-vous précis ?" pour la durée de 30 secondes.

Lire les résultats du Test 4

5/ Percevez-vous les secondes des autres ?

Munissez-vous d'un album de photos de famille et choisissez les photos présentant des personnes âgées (vos grands-parents, grands oncles et tantes...). Ou, si vous le pouvez, installez-vous en compagnie de personnes âgées. Faites alors le même test que "1 - Etes-vous précis ?" pour la durée de 30 secondes.

Lire les résultats du Test 5

6/ Les années passent-elles toutes à la même vitesse ?

Indiquez l'année de ces 20 événements, qui ont marqué l'actualité entre 1996 et 2008. En moins de 5 secondes pour chacun... L'objectif du test n'est pas le nombre de réponses correctes ou fausses, mais l'écart entre la réponse fournie et la vraie date... Passer la souris sur le mot "réponse" en fin de ligne.

1 - Discours de Dominique de Villepin à l'ONU contre la guerre en Irak.   Réponse...
2 - L'euro remplace le franc.   Réponse...
3 - Audition du Juge Burgaud dans l'affaire d'Outreau.   Réponse...
4 - Affaire Natascha Kampusch.   Réponse...
5 - La France championne du monde de football.   Réponse...
6 - Affaire des caricatures de Mahomet.   Réponse...
7 - Première saison de "Loft Story".   Réponse...
8 - Sortie du film Bienvenue chez les Ch'tis.   Réponse...
9 - Libératlon des infirmières bulgares.   Réponse...
10 - Décès de François Mitterrand.   Réponse...
11 - Explosion de l'usine AZF à Toulouse.   Réponse...
12 - Sortie française du film Titanic.   Réponse...
13 - Tsunami en Asie.   Réponse...
14 - Interdiction de fumer dans les restaurants et les cafés.   Réponse...
15 - Rejet français du projet de constitution européenne.   Réponse...
16 - Libératlon d'Ingrid Bettancourt.   Réponse...
17 - Fin du service militaire de dix mois.   Réponse...
18 - Ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans.   Réponse...
19 - Coup de tête de Zinedine Zidane contre Marco Materazzil.   Réponse...
20 - Crash du Concorde à Gonesse.   Réponse...

Nous sommes souvent victimes d'un effet que les psychologues appellent "télescopage". Dans la plupart des cas, il s'agit d'un télescopage avant, c'est-à-dire l'impression qu'un événement est plus récent qu'il ne l'est réellement. Par exemple, vous aurez noté que l'accident du Concorde a eu lieu en 2003 et non en 2000. Le télescopage arrière est observé moins souvent. Les causes de ces effets de télescopage restent difficiles à déterminer. Faites-vous partie de la majorité ou des exceptions ?

G.M. - SCIENCE & VIE > Février > 2010
 
 

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