Mesures du Temps

Les Mesures du Temps par les Hommes

Vertigineux ! En passant à l'optique, deux Américains ont trouvé mieux que le césium pour faire battre le cœur des horloges atomiques qui, depuis 1967, définissent officiellement la seconde. Résultat : une précision phénoménale de 15 milliards d'années qui, outre l'intérêt pour les satellites, suggère une nouvelle notion de la durée.

Après plus de 35 ans de bons et loyaux services, l'horloge atomique au césium pourrait bien rejoindre le cadran solaire, la clepsydre et le sablier au petit musée des instruments de la mesure du temps. Depuis 1967, c'est en effet ce métal mou jaune clair qui a l'honneur de régler nos pendules. Une révolution puisque, depuis cette date, la seconde n'est plus un simple soixantième de minute, mais la durée de très exactement 9 192 631 770 périodes de l'onde électromagnétique, qui permet de faire changer l'état d'énergie de l'atome de césium 133 ! Car lorsqu'on envoie une onde électromagnétique de fréquence très précisément quantifiée (9192631770 hertz pour le césium, donc) sur un atome, celui-ci l'absorbe et stocke l'énergie. On dit qu'il change d'état. C'est le cas de tous les atomes, mais le césium fut élu entre tous parce que la fréquence de la radiation électromagnétique qui le fait changer d'état est facilement accessible : elle se situe dans le domaine des micro-ondes (de 300 MHz à 300 GHz) que l'on maîtrisait bien, dès les années 50, grâce aux nombreux travaux sur les radars. De plus, les atomes de césium peuvent se trouver dans deux différents états "fondamentaux" très stables, alors que d'autres atomes perdent rapidement l'énergie qu'ils viennent d'acquérir, sans que l'on puisse avoir le temps de les observer. Des qualités qui ont fait leurs preuves : de progrès techniques en améliorations, les horloges atomiques au césium atteignent, aujourd'hui, des précisions de 10-15 seconde. Soit une incertitude d'une seconde tous les 32 millions d'années ! Mais la course à la précision fait toujours rage parmi les spécialistes. À tel point que des chercheurs américains viennent de franchir un pas historique : ils ont décidé de délaisser le césium pour adopter des éléments sensibles à des fréquences beancoup plus élevées.

L'ION MERCURE OU LE CALCIUM PLUS SENSIBLES QUE LE CÉSIUM

Le Nist (National Institute of Standards andlechnology), dans le Colorado, un des laboratoires pionniers dans le domaine de la mesure du temps, développe d'ores et déjà une horloge atomique "optique". "C'est véritablement la future génération des horloges atomiques", déclarait Leo Hollberg, un des responsables du projet, au dernier congrès annuel de l'AAAS (American Association for the Advancement of Science). Son principe de base est le même que celui des horloges à césium, sauf qu'elle emploie d'autres éléments, comme l'ion mercure ou l'atome de calcium qui, eux, sont sensibles à des radiations non plus dans le domaine des micro-ondes, mais dans celui du visible-ultraviolet (d'où le nom "d'optique"), dont les fréquences sont 10.000 fois plus rapides, à 10+15 Hz. Conséquence, l'horloge optique pourra atteindre une précision de 10-18 seconde, soit une incertitude d'une seconde, cette-fois, tous les 15 milliards d'années.
Mais pourquoi une telle exactitude quand le commun des mortels n'en a strictement aucun besoin dans la vie courante ? Simple : cette précision est on ne peut plus précieuse pour les systèmes de positionnement par satellites (comme le CPS), qui requièrent une rigueur parfaite dans l'estimation du temps. Ici, une erreur d'un millième de seconde correspond, en effet, à un faux pas... de 300 km ! Autrement dit, si de simples horloges à quartz étaient utilisées dans les satellites du système GPS, la précision du système serait de 100 mètres, contre quelques centimètres, grâce aux dispositifs au césium.
Concrètement, toute horloge se base, et cela depuis même l'antique cadran solaire, sur deux éléments : l'oscillateur, qui génère des événements périodiques (le soleil, le quartz...), et un système recensant et comptant ces événements. Ainsi, la vénérable horloge comtoise, apparue au XVIIè siècle, possède un balancier émettant un tic tac répétitif et régulier, qui est compté et affiché grâce à des engrenages entraînant des aiguilles. La montre à quartz, elle, utilise la vibration mécanique du cristal de quartz, qui se produit à une fréquence remarquablement régulière sous l'effet d'une excitation électrique initiale fournie par une pile. Cette vibration mécanique régulière induit à la surface du cristal des charges électriques que l'on peut détecter électroniquement.
L'horloge atomique fait toutefois intervenir un troisième composant : une sorte de contrôleur très strict. Ici, la vibration d'un oscillateur à quartz, ou celle d'un laser, est établie grossièrement, puis contrôlée par des atomes, qui vont la modifier finement et, en quelque sorte, surveiller qu'elle reste bien régulière et stable. En effet, un quartz ou un laser laissés à eux-mêmes ont tendance à légèrement dériver et une montre à quartz classique perd ainsi une seconde tous les six ans. L'ion mercure d'une horloge optique (tout comme l'atome de césium d'une horloge atomique classique) joue donc le rôle de gendarme, contrôlant la régularité de la vibration de l'oscillateur, parce qu'il change d'état énergétique lorsqu'il est soumis à une radiation électromagnétique de précisément 1,064 pétahertz (1,064.10+15 Hz).
Si la fréquence de la radiation est légèrement différente de cette valeur, alors l'ion reste dans son état originel. À partir de là, il suffit de regarder comment réagit cet ion à la fréquence grossière auquel on le soumet, puis on règle constamment la fréquence du laser de manière à ce qu'elle provoque une excitation de l'ion. Le système reste ainsi maintenu exact en permanence.

COMMENT L'ION MERCURE REGULE L'HORLOGE OPTIQUE

1/ Un premier laser refroidit l'ion mercure...
Un laser, d'une fréquence de 1,546 PHz, refroidit l'ion mercure au niveau du zéro absolu, en l'excitant. Un électron de l'ion passe alors de son orbite basse à une orbite supérieure 100 miilions de fois par seconde. En retombant à son niveau d'origine, il perd son énergie sous forme de lumière : il émet une fluorescence.

2/ ...et un second laser s'ajuste sur sa fréquence.
L'ion est bombardé avec le laser-sonde, que l'on veut régler à 1,064 PHz. On approche peu à peu de cette fréquence et on sait qu'elle est atteinte précisément lorsque la fluorescence provoquée par le premier laser disparaît. En effet, à exactement 1,064 PHz, l'électron passe de l'orbite A à l'orbite B et s'y maintient une seconde. Le premier laser ne peut donc plus l'exciter vers l'orbite C et la fluorescence disparaît.

3/ La fréquence est traduite en seconde
Une fois que la fréquence du laser-sonde a été ajustée précisément, un dispositif, doté d'un laser "femtoseconde", la traduit en micro-ondes. Lesquelles sont décomptées pour établir la durée d'une seconde.

UNE RÉVOLUTION GRÂCE À DES LASERS DITS "FEMTOSECONDE"

Comme c'est cette fréquence qui est utilisée pour définir la seconde, on comprend que plus elle est élevée, c'est-à-dire plus la seconde est scindée en un nombre important de petites parties, plus on peut la définir avec précision. Avec une fréquence 10.000 fois supérieure à celle des horloges au césium, les horloges optiques révolutionnent donc le domaine ! L'idée, toutefois, ne date pas d'aujourd'hui. Oui, mais jusqu'à présent, aucun système n'était assez fin pour détecter et compter des vibrations très rapides. C'est là la nouveauté : des lasers très puissants, dits "femtoseconde", inventés dans les années 80 et adaptés au système par le Nist, permettent désormais, à l'aide d'un peigne de fréquence très précis, de "traduire" des fréquences optiques en fréquences micro-ondes facilement mesurables, sans perdre de précision.
Un saut technologique qui ne signe pas pour autant la fin de la carrière du césium. Car les horloges atomiques classiques ont encore quelques jolis progrès à faire. En premier lieu, "on peut jouer sur la durée d'interaction entre le signal micro-ondes et l'atome de césium", remarque Noel Dimarcq, chercheur CNRS du laboratoire Syrte (Systèmes de référence temps espace), à l'Observatoire de Paris. En effet, dans une horloge classique, les atomes de césium se déplacent à la vitesse de quelques centaines de mètres par seconde. Si l'on prolonge leur présence dans la cavité où ils sont soumis à l'onde électromagnétique, la précision de la mesure se trouve améliorée. Il suffit donc de les ralentir, en les "refroidissant" à l'aide de lasers. Sauf que lorsque les atomes sont plus lents, ils ont tendance à retomber par gravité... etne peuvent donc plus être détectés en sortie de la cavité.

L'IDÉAL SERAIT QUE LES ATOMES ÉCHAPPENT À LA GRAVITÉ

La solution ? C'est ce qu'on appelle une "fontaine atomique", qui prévoit un dispositif, cette fois, vertical : on lance des atomes refroidis vers le haut dans la cavité et on les laisse poursuivre leur mouvement. Ralentissant sous l'effet de la pesanteur, ils retombent en passant une nouvelle fois dans la cavité et sont collectés à la sortie. Le temps "d'interrogation", c'est-à-dire la durée au cours de laquelle ils sont soumis au signal émis par l'oscillateur, est plus long et la précision de la mesure accrue. De "telles horloges atteignent déjà des précisions de 10-15. Reste que l'idéal serait de pouvoir carrément supprimer la gravité. À quoi s'attelle justement le Syrte, qui a déjà mené une expérience en micro-gravité lors de vols paraboliques dans l'avion du Cnes (Centre national d'études spatiales) spécialement dédié à ce type d'expérimentations. Mais ce n'est que la première étape d'un vaste projet, baptisé Pharao (pour Projet d'horloge atomique par refroidissement d'atomes en orbite), mené par le Syrte et le Cnes. Le but : envoyer sur la Station spatiale internationale une horloge atomique qui pourra atteindre une précision de 10-16 Ceci afin de réaliser des expériences de physique fondamentale mais aussi d'améliorer les performances des systèmes GPS et de synchroniser les différentes horloges contribuant à la détermination du temps atomique international.
Avec une exactitude, selon ses concepteurs, de 10-18, l'horloge optique s'annonce encore plus performante. "Cette précision semble un peu excessive, précise Noel Dimarcq, car, à ce niveau, des facteurs comme les variations du potentiel de gravité sont très perturbateurs. En revanche, ces puissantes horloges permettront d'obtenir, en un temps record, des précisions que l'on obtient aujourd'hui à l'aide d'une moyenne réalisée sur quelques jours avec nos meilleures fontaines atomiques."
Si ces horloges sont adoptées dans l'avenir, etle césium envoyé aux oubliettes, c'est la définition même de la seconde qui risque alors d'être revue. "On arrivera probablement, avec des horloges optiques, à une définition secondaire de la seconde, très précise, qui nous permettra d'évaluer toutes les horloges à micro-ondes. Et peut-être en arrivera-t-on, un jour, à changer effectivement la définition de la seconde", note Elisa Felicitas Arias, responsable de la section Temps au Bureau international des poids et mesures, à Sèvres. Mais c'est le genre de décision révolutionnaire qui prendra sûrement un temps fou.

DES HORLOGES POUR MESURER LA RELATIVITE OU LA THEORIE DES CORDES

Mesure des distances, des poids, du temps... A priori, la métrologie fournit des instruments de plus en plus précis, à l'usage de scientifiques. Rien à voir avec la noblesse de la physique fondamentale. Et pourtant... Les concepteurs d'horloges atomiques sont en relation étroite avec les théoriciens les plus audacieux. Ainsi ont-ils l'ambition de mesurer les effets de la relativité d'Einstein ! Le projet Pharao, qui enverra une fontaine atomique sur l'ISS (International Space Station), pourrait ainsi mettre en évidence un décalage entre une horloge en mouvement autour de la Terre et une autre restée au sol, pour l'instant, l'effet relativiste de l'ordre de l'inexactitude des horloges atomiques n'est pas mesurable. Mais les progrès en cours sur ces horloges pourront permettre de réaliser cette expérience historique ! Autre exemple : la dérive de la constante de structure fine alpha (qui décrit les comportements dynamiques de la matière au niveau atomique), supposée par la très en vogue théorie des cordes (dont le but est d'unifier la mécanique quantique et la gravitation), pourrait être observée grâce à une horloge construite au Syrte, qui utilise à la fois des atomes de rubidium et de césium. C'est la dérive relative des fréquences de ces deux atomes qui pourrait donner une indication sur la très légère variation supposée de la constante...

Cécile Bonneau - SCIENCE & VIE > Juillet > 2003

Un Chronomètre à Cailloux Solaires

La nébuleuse qui a donné naissance au système solaire présentait une répartition homogène en 26 Al selon les travaux d'une équipe nancéienne publiés dans Science.

Cet isotope radioactif de l'aluminium qui se désintègre en magnésium avec une demi-vie de 0,73 million d'années pourra donc servir d'étalon pour dater la formation des premiers solides du système solaire, comme le fait le carbone 14 en archéologie.

SCIENCES ET AVENIR > Octobre > 2009
 
 

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