L'Origine de la Vie - Comment Tout a Commencé...

Évolution : les 4 premiers Milliards d'Années














GEO SAVOIR HS N°5 > Février-Mars > 2013

"La Vie n'est pas un Particularisme Terrestre" : André Brack

Les conditions qui ont permis l'apparition de la vie n'ont rien d'unique, selon l'exobiologiste André Brack. Conseiller du Centre national d'études spatiales, ce chimiste espère bien trouver dans l'Univers une vie antérieure à la vie bactérienne.

S&V : La recherche sur les origines de la vie a redémarré récemment avec l'émergence d'une nouvelle discipline l'exobiologie, appelée aussi parfois la bioastronomie. Y aurait-il de la vie ailleurs que sur Terre ?
André Brack : Pourquoi pas ? Les radio-astronomes nous ont appris que la chimie organique est universelle. Ils ont trouvé dans le milieu interstellaire beaucoup de molécules organiques, notamment du formaldéhyde et de l'acide cyanhydrique, à partir desquels se forment les acides aminés, qui sont eux-mèmes les éléments constitutifs des protéines.

S&V : Les conditions de l'émergence de la vie sur Terre, il y a 4 milliards d'années, existeraient ou auraient existé sur un autre corps céleste ?
A.B. : Ce sont des conditions qui n'ont rien d'unique. D'abord, il faut de l'eau à l'état liquide. C'est dans ce milieu que se sont développés les premiers systèmes chimiques capables de transmettre leur information - avec, toutefois, une imprécision qui a permis à ces systèmes d'évoluer. Cela implique la présence d'une atmosphère, sinon l'eau s'évapore et une température au-dessus de 0°, sinon l'eau gèle.
La chimie est reproductible avec les mêmes éléments placés dans les mêmes conditions, on doit obtenir les mêmes résultats. N'importe quel corps céleste qui présente ces conditions est donc un milieu de vie potentiel. Cela apporte un éclairage totalement nouveau : la vie n'est pas un particularisme terrestre, mais un phénomène sans doute largement répandu dans l'Univers - qui comprend, rappelons-le, des milliards de galaxies et des milliards d'étoiles par galaxie. Seulement, il faut partir de l'hypothèse que les premiers systèmes vivants étaient des assemblages simples, utilisant un petit nombre de molécules organiques.

S&V : La vie aurait commencé par des systèmes plus simples que des cellules ?
A.B. : Je le crois. J'aime dire que la vie est un système capable de faire plus de lui-même par lui-même : de proliférer tout en se modifiant. Certains biologistes pensent que la vie apparaît avec la cellule, une strticture tellement complexe qu'elle n'a pu se former qu'une seule fois en un seul endroit. Nous, les chimistes, ne voyons pas les choses de la même façon.
Dans une cellule, le travail de copie est réalisé par les protéines. Et l'information pour effectuer cette copie - le plan de montage - est contenue dans l'ADN. La cellule se réplique parce que ces deux molécules organiques sont en contact en son sein, séparés de l'environnement par une membrane. En laboratoire, nous réussissons à réaliser des membranes, des protéines, mais pas de l'ADN - qui ne se forme pas spontanément... On pense donc que, à l'origine, l'information et le travail de copie étaient portés par une même molécule, selon le principe de l'autocatalyse. Cette dernière peut entrainer une évolution si surviennent des erreurs dans le transfert de l'information. La molécule d'ARN possède cette double capacité, mais nous n'arrivons pas non plus à la fabriquer. Donc. le système initial était vraisemblablernent plus simple.

S&V : N'est-ce pas parce que la bonne expérience reste à réaliser ?
A.B. : C'est ce que nous rétorquent certains biologistes ! Mais nous pensons que la bonne expérience consiste à prouver que quelque chose a précédé l'ARN. Dans mon laboratoire, on est parti de l'hypothèse que la transmission de l'information résultait d'une association entre molécules organiques et surfaces minérales. On prend un fragment d'information, on essaye de le faire croître sur un cristal - matière inanimée qui a la faculté de se répliquer -, puis on coupe la structure en deux et on recommence avec chaque fragment. La technique du ver de terre, en somme. Mais l'idéal pour comprendre comment se constitue la vie serait de trouver de la vie, animée ou fossilisée, ailleurs que sur Terre.

S&V : Quelle forme de vie espérez vous trouver hors de notre planète ?
A.B. : Une vie antérieure à la vie bactérienne. La difficulté est de savoir ce que l'on cherche. Si les organismes primitifs ne ressemblent pas à ceux que l'on connait, on aura vraiment du mal à les identifier. Comment savoir à quoi ressemblerait une vie prémicrobienne ? Nous pensons qu'elle utiliserait, comme le vivant terrestre actuel, des molécules organiques à base de carbone, abondantes dans le milieu interstellaire : un atome de carbone associé à des atomes d'hydrogène, d'azote, d'oxygène. Mais il n'est pas exclu que des systèmes vivants puissent se développer d'une façon différente, dans un autre liquide que l'eau, de l'ammoniac liquide, par exemple.

S&V : Comment se sont constituées ces molécules organiques à l'origine de la vie ?
A.B. : L'une des hypothèses est qu'elles se sont formées à partir du carbone présent dans l'atmosphère terrestre. Les géochimistes ont montré qu'elle était très riche en dioxyde de carbone (CO2). Mais on n'a pas encore réussi à réduire ce gaz au point d'obtenir des acides aminés.
Les premières molécules organiques ont également pu apparaître près de sources hydrothermales. On vient de démontrer que le phénomène de "trempe thermique" (eau jaillissant à 350° dans de l'eau à 0°) permet de condenser des acides aminés. Il reste à établir qu'il est possible de synthétiser des acides aminés dans ces conditions.
Selon une troisième hypothèse, les molécules organiques ont été fabriquées dans l'espace et apportées sur Terre par des micro-météorites. Les toutes récentes collectes dans les glaces de l'Antarctique, effectuées par Michel Maurette (CNRS, Centre de spectrométrie nucléaire et de spectrométrie de masse), permettent d'estimer à 100.000 milliards de tonnes la quantité de carbone apportée il y a entre 4,1 et 3,8 milliards d'années.

S&V : Quels corps célestes présentent, ou ont présenté, des conditions favorables à la chimie prébiotique ?
A.B. : Mars, et Europe, un satellite de Jupiter. Il y a 4 milliards d'années, Mars était couverte d'océans qui ont disparu depuis. Elle n'a pas d'oxygène, donc pas de couche d'ozone pour protéger les composés carbonés des rayonnements ultraviolets. C'est pourquoi aucune trace de vie n'a pu être repérée en surface. Il faut forer le sol de façon à atteindre les strates sédimentaires, susceptibles de contenir des molécules organiques et, peut être des organismes fossilisés. De plus il est possible qu'il reste de l'eau liquide sous le pergélisol, dans laquelle vivraient des bactéries ! Mais il faudrait creuser jusqu'à 1000 m au moins. Dans un premier temps, le projet européen Mars-express et les missions CNES-NASA, prévues entre 2003 et 2005, se contenteront de forer le sous-sol proche. Ce que nous aimerions trouver, c'est une sorte "d'arrêt sur image" de la vie naissante, quelque chose que nous ne connaissons pas à l'état fossile sur Terre et que nous ne réussissons pas à saisir en laboratoire.
Quant à Europe, elle est couverte de glace. Il est probable que s'étend dessous un océan avec des sources hydrothermales : de bonnes conditions de synthèse prébiotique ! Une mission est à l'étude. Mais nous n'avons pas encore les moyens technologiques de sonder des dizaines de kilomètres de glace. Quant aux planètes extrasolaires, que les astronomes viennent tout juste de détecter, on pourra d'ici quelques années voir si elles présentent des atmosphères atypiques que l'on pourrait lier à la présence de vie.

CATHERINE CHAUVEAU - SCIENCE & VIE > Juin > 1999
 
 

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