L'histoire de l'Univers

Introduction

Ces Cordes qui ont orchestré l'Univers : 10-35 seconde après le Big Bang

D'immenses fils qui se tortillent comme des vers et renferment une énergie inouï capable d'attirer toute la matière de l'Univers... Les cordes cosmiques, objets mystérieux et mystiques de la physique, pourraient bien fournir la clé de l'origine des galaxies.

Pendant des années, elles n'ont été qu'une théorie droit sortie des équations des physiciens. Mais, depuis quelques mois, les cordes cosmiques naissent, vivent et meurent sur les écrans des ordinateurs de l'université de Californie à Berkeley (Lawrence Berkeley National Laboratory).
Le jeune chercheur britannique Julian Borrill et ses collègues américains ont réussi à recréer ce que furent probablement les premiers instants de l'univers, 10-35 seconde après le big bang. Il leur aura fallu des heures de calcul sur l'un des plus puissants ordinateurs du monde, le Cray T3E, pour parvenir à leurs fins. Depuis, les cordes cosmiques sont devenues les candidates les plus sérieuses pour expliquer l'aspect grumeleux de notre Univers.
Depuis des dizaines d'années, en effet, les cosmologistes n'ont qu'une question en tête : pourquoi notre Univers fait-il des "grumeaux" ? Dans les premiers instants, il ressemblait à une soupe homogène de particules, et voilà qu'aujourd'hui toute la matière est regroupée en galaxies et amas de galaxies, séparés par d'immenses zones vides ! Grâce à Newton, on sait que la gravitation est en partie responsable de ce regroupement : dès qu'un petit amas de matière se forme, il attire tout ce qui se trouve à sa portée. Mais comment s'est formé le premier amas ? Qu'est-ce qui a bien pu cuisiner les premiers "grumeaux" dans la soupe initiale ? La plupart des cosmologistes expliquent leur apparition par la théorie de l'inflation, élaborée par l'Américain Alan Guth en 1981. Depuis sa naissance, l'univers est en expansion, c'est-à-dire qu'il grandit continûment. Mais, selon la théorie de l'inflation, l'Univers aurait connu, à peine 10-35 seconde après sa naissance, une très courte période d'inflation, pendant laquelle il aurait grossi extrêmement vite. Son volume aurait été multiplié par 10-35 : il serait passé de la taille d'une tête d'épingle à celle de dix fois notre galaxie.

DEUX THÉORIES : INFLATION et REFROIDISSEMENT

Toutes les infimes fluctuations de l'univers (ou plutôt les fluctuations des champs mathématiques qui permettent aux physiciens de définir le vide) auraient elles aussi grossi dans la même proportion. Elles auraient alors attiré toutes les particules à leur portée, pour former les premiers grumeaux de la soupe.
Cette théorie, apparemment simple, dont les physiciens peuvent aisément prédire les effets, présente tout de même deux inconvénients majeurs. D'une part, il n'existe aucun autre exemple d'inflation en physique. D'autre part, la théorie laisse une question en suspens : qu'est-ce qui a pu déclencher l'inflation ?
En 1976, une petite partie des cosmologistes s'était groupée autour du Britannique Tom Kibble pour soutenir une toute autre théorie : celle des cordes cosmiques. Dans ses tout premiers instants, alors que l'Univers commençait son expansion et son refroidissement, il aurait subi plusieurs transitions de phase, un peu à la manière de l'eau qui cristallise et se transforme en glace. Seulement toute l'eau ne gèle pas en même temps, et il se forme toujours de petits défauts dans la glace. De la même façon, les transitions de phase de l'Univers auraient donné naissance à des irrégularités, des défauts topologiques, que Tom Kibble a baptisés cordes cosmiques.

Pendant une fraction de seconde, ces cordes auraient cessé de refroidir elles seraient donc restées plus énergétiques que le milieu extérieur. Elles auraient alors attiré à elles toute la matière, avant de disparaître en majeure partie. C'est dans leur sillage que se seraient formées, quelques milliards d'années plus tard, les galaxies et les amas de galaxies.
À quoi ressemblent les cordes cosmiques ? "Ce sont d'immenses boucles qui traversent tout l'Univers et se déplacent à des vitesses comparables à celle de la lumière", explique Patrick Peter, physicien des particules au département d'astrophysique relativiste et de cosmologie (DARC) de l'Observatoire de Paris-Meudon. "Elles sont un million de milliards de fois plus fines qu'un noyau d'atome. Pourtant, leur poids atteint 10s22 grammes par centimètre. Autrement dit, 10 km de corde cosmique pèsent à peu près aussi lourd que la Terre !"
De quoi sont-elles faites ? De vide ! Mais un vide très particulier : "Les cordes cosmiques sont des défauts du vide, précise Patrick Peter. Pour simplifier, on peut dire que le vide tourne autour d'elles, sauf en leur centre. Un peu comme quand on vide sa baignoire et qu'il se crée un tourbillon. L'eau tourne de plus en plus vite jusqu'au centre du tourbillon, ou elle ne tourne plus du tout." Jusqu'à l'été dernier, beaucoup de cosmologistes mettaient en doute l'existence de ces cordes aux extraordinaires propriétés. Si elles avaient existé en grand nombre au tout début de l'Univers, elles auraient laissé des traces. Des indices qu'on devrait retrouver dans le rayonnement fossile, ce vestige du big bang qui est parvenu jusqu'à nous. Grâce aux observations du satellite Cobe, en 1992, les physiciens ont en effet observé des variations de la température du rayonnement fossile. Ces mesures ont été affinées en 1995, mais les variations ne correspondaient pas tout à fait aux prévisions de la théorie des cordes cosmiques. Julian Borrill, ardent défenseur des cordes, ne s'avoua pas vaincu pour autant. Depuis deux ans déjà, il étudiait d'autres sortes de cordes, nommées "semilocales". Les cordes semilocales ressemblent beaucoup aux cordes cosmiques classiques : elles sont aussi fines et aussi lourdes. Mais, à la grande différence de leurs consoeurs, elles ne sont pas infinies, et ont, à leurs extrémités, un pôle nord et un pôle sud. "Comme sur des aimants, les pôles identiques se repoussent et les pôles opposés s'attirent, explique Julian Borrill. Si la tète d'une corde ren-contre sa queue, elle se dévore elle-même et se désintègre."

De l'influence des cordes sur l'évolution du big bang ->
Dans l'histoire de l'Univers, les cordes cosmiques seraient apparues 10-35 seconde après le big bang. Leur présence aurait déformé l'espace et modifié la trajectoire des particules (électrons, protons). En se déplacant à des vitesses comparables à celle de la lumière, les cordes auraient entraîné les particules, formant un sillon de matière qui serait devenu, 1 milliard d'A. plus tard, le berceau des galaxies.

Si ces cordes s'autodétruisent si facilement, quel peut bien être leur intérêt ? "Avant que nous procédions à une simulation informatique, avoue Julian Borrill, certains physiciens estimaient que les cordes semilocales n'avaient pu exister, ou qu'elles avaient disparu trop vite pour avoir eu une quelconque influence." Mais les cordes semilocales possèdent une spécificité dont Julian Borrill ne se doutait pas, et qu'a découverte avec surprise l'été dernier sur l'écran du Cray T3E de Berkeley : elles préfèrent s'assembler plutôt que de se "rouler en boule" et de disparaître. Le pôle sud d'une corde attire le pôle nord d'une autre, pour donner naissance à une corde plus grande, et ainsi de suite ! Julian Borrill tenait la preuve que les cordes semilocales ont pu vivre assez longtemps pour exercer une influence cosmologique. "Les travaux de Borrill vont probablement donner un nouveau souffle à la théorie des cordes cosmiques", affirme Patrick Peter.
Les cordes semilocales ont un autre avantage : elles pourraient, mieux que les cordes ordinaires, répondre à la seconde grande question de la cosmologie, celle de la baryogenèse. Autrement dit, elles pourraient expliquer pourquoi il existe plus de matière que d'antimatière dans l'Univers. Aujourd'hui, la matière constitue presque 100 % de ce qui nous entoure. Si ce n'était pas le cas, nous ne serions d'ailleurs pas là pour en parler. En revanche, au tout début de l'Univers, il y avait exactement autant de matière que d'antimatière. Qu'est-ce qui a pu briser cette belle symétrie ? Réponse de Julian Borrill : "Les cordes semilorales". Matière et antimatière se seraient trouvées enfermées dans les cordes, et celles-ci, en se désintégrant, auraient rompu l'équilibre, donnant naissance à plus de matière que d'antimatière.

Les cordes cosmiques expliqueraient bien des mystères de notre Univers, et l'on suppose que certaines d'entre elles voyagent encore aujourd'hui entre les galaxies. Mais il reste à le prouver. Il faudrait d'abord avoir une idée précise des traces qu'auraient pu laisser les cordes semilocales. "Nous poursuivons nos simulations informatiques, dit Julian Borrill. Car il nous faut maintenant déterminer les influences qu'elles auraient pu avoir sur le rayonnement fossile". Mais, si les cordes cosmiques existent toujours, il y aurait un autre moyen de les observer une preuve indiscutable. Elles peuvent en effet créer des mirages visuels. Elles sont si denses en énergie, explique Patrick Peter, qu'elles attirent tout ce qui passe à leur portée, et déforment même la lumière. Si une galaxie se trouvait exactement derrière une corde, nous verrions d'elle une image double". Pourquoi ? Parce que la galaxie rayonnerait de la lumière dans toutes les directions de l'espace.

ESPOIR DANS LE CIEL DE HAWAÏ

L'un des rayons lumineux passerait à droite de la corde, selon un certain angle. Un autre passerait sur sa gauche, selon le même angle. En déviant ces deux rayons lumineux, la corde les dirigerait vers nous, et nous pourrions les voir simultanément.
En 1990, Esther Hu avait fait frémir toute la communauté scientifique : cette physicienne de l'université de Hawaii avait observé quatre couples de galaxies jumelles dans une même région de l'Univers. Patrick Peter préparait alors sa thèse sur les cordes cosmiques : "J'ai eu alors une lueur d'espoir, et je me suis dit que les cordes existaient réellement." Mais Esther Hu n'a rien pu conclure, car le nombre des galaxies qu'elle avait observées était trop faible. Ces images doubles pouvaient n'être qu'une pure coincidence.
Tous les partisans des cordes attendent d'avoir la preuve de leur existence. Seront-elles purement cosmiques ou bien semilocales ? Ce jour-là, ce genre de détail n'aura plus vraiment d'importance...

V.G. - SCIENCE & VIE > Février > 1999
 
 

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