Trois Minutes ont Suffi pour Former Toute la Matière
Ainsi tout se serait joué juste apres le big bang. En seulement trois minutes la matière aurait émergé de l'Univers naissant pour former les premiers atomes. Visite guidée d'une étonnante machinerie cosmique.

La matière a une longue histoire, très longue même. Et pour cause : celle-ci démarre quasiment avec la naissance de notre Univers, il y a 13,7 milliards d'années, et se poursuit aujourd'hui. Pourtant, tout s'est joué dans les trois premières minutes. Il n'en a pas fallu davantage pour que les particules élémentaires de matière, et les forces agissant sur elles, acquièrent leur configuration définitive, celle qui modèle tous les objets de l'Univers y compns la Terre... et l'homme. Certes, à l'issue de ce préambule, il n'y a encore ni étoiles ni galaxies, ni même les 92 types d'atomes (éléments chimiques) qui composent la richesse naturelle de notre monde. Il n'empeche, à t = 3 mmutes, "les dés sont jetés" : tout est en place pour que, au fil des milliards d'années suivantes, différents processus physiques achèvent lentement le travail. Retour sur ce film à grand spectacle qui a commencé tout de suite après le big bang.

JUSQU'À 10-32 SECONDE APRÈS LE BIG BANG : DE LA FORCE NAÎT LA MATIÈRE

Cette partie originelle du scénario demeure encore assez floue, mais plusieurs théories ont toutefois essayé de la reconstituer afin de donner au film son commencement. Selon les théories les plus couramment admises, à sa naissance, notre Univers est dépourvu de matière. Mais il abrite néanmoins une force, ou interaction, la gravité quantique. Immédiatement après le big bang, celle-ci se serait scindée en deux, donnant d'un côté la force de gravité et de l'autre la force électrofaible-forte. C'est cette force électrofaible-forte qui aurait alors donné naissance aux premières particules de matière.
Une force qui engendre de la matière, et non l'inverse, cela peut paraître étrange. Car ne faut-il pas d'abord disposer d'objets pour pouvoir concevoir leurs interactions ? C'est oublier que, dans le formalisme du modèle standard - qui forme l'ossature théorique de ce récit (antimatière) -, les forces sont aussi des particules : les "bosons". Créer de la matière à l'aide d'une force revient donc, au fond, à transformer un type de particules en un autre, ce qui est déjà moins surprenant. En particulier, la force électrofaible-forte est associée aux hypothétiques bosons X et Y.
10-32 seconde après le big bang, la force électrofaible-forte commence à se scinder en deux : la force électrofaible et la force forte. C'est alors que les bosons X et Y se transforment en quarks, en électrons et neutrinos. La matière est née. Et avec elle, son double de particules miroirs que les physiciens appellent antimatière : antiquarks, antiélectrons et antineutrinos. Autant de particules à la fois jumelles et contraires à leurs compagnes avec qui elles partagent certains paramètres (masse, spin), mais s'opposent sur d'autres (charge, saveur, etc.). Leur relation est explosive : quand une particule rencontre l'antiparticule correspondante, elles s'annihilent, c'est-à-dire disparaissent, en produisant une particule de lumière, le photon (antimatière).

APRÈS 10-32 SECONDE : LES PHOTONS RÈGNENT SUR L'UNIVERS

L'annihilation matière-antimatière produit de grandes quantités de photons, qui se rematérialisent aussitôt en paires particule-antiparticule. Depuis 10-12 s, tous les bosons X et Y ayant disparu, l'Univers renferme une soupe de quarks, d'électrons et de neutrinos, tous accompagnés de leurs antiparticules respectives, ainsi que de photons, en constante interaction. Ces photons sont désormais les rois de l'Univers : ils ont repris le rôle tenu jusqu'alors par les bosons X et Y dans la production de matière et c'est leur niveau d'énergie qui détermine la température globale du cosmos. Mais à peine installés sur leur trône, ces rois paraissent déjà sur le déclin. En effet, l'expansion cosmique entraîne une diminution progressive de leur énergie. Or, comme l'énergie est le moteur des transformations des photons, et qu'à ce moment-là il fait déjà "à peine" 1015 degrés, les transformations de photons en matière se raréfient.
Résultat, au fil du temps, les photons perdent une partie de leur pouvoir : il y a de moins en moins de création de paires particules-antiparticules de matière. Ce qui ne signifie pas que celles-ci aient cessé leur lutte à mort. Quelle que soit la température, en effet, matière et antimatière continuent à s'annihiler. Conséquence : l'Univers se vide peu à peu de sa matière et de son antimatière pour se peupler de photons. Comment se fait-il, alors, que seul l'Univers matériel ait perduré ? C'est une des énigmes de la cosmologie moderne qui mobilise tout un pan de la recherche en physique. La température ayant à cette époque suffisamment baissé, le scénario quitte ici le domaine de la fiction tirée de l'imagination des théoriciens pour puiser désormais son inspiration à la source du modèle standard.

APRÈS 10-12 SECONDE : LES 4 FORCES SONT EN PLACE

La température passe progressivement de 1015 à 1012 degrés (mille milliards de degrés). Sous l'effet de ce refroidissement cosmique, la force électrofaible se scinde : d'un côté, la force électromagnétique, de l'autre, la force faible. Cette fois, la distribution des premiers rôles paraît complète : si l'on ajoute la gravité et la force forte, l'Univers compte désormais les quatre forces usuelles. C'est à ce moment précis que se serait déclenché le "mécanisme de Higgs" par lequel les particules de matière acquièrent leur masse. À ce stade, tous les acteurs de la matière ordinaire sont donc présents sur la scène cosmique. Mais la matière elle-même, telle qu'on la connaît aujourd'hui, traîne encore un peu en coulisses. Car tout ce petit monde ne peut encore se combiner et s'associer efficacement. En cause : la température toujours trop élevée qui continue à faire le jeu des photons. En effet, ces derniers n'ont pas encore totalement perdu leur capacité à agir sur les particules. Ils ont encore assez d'énergie pour briser dans l'œuf toute velléité d'union. Plus pour longtemps.

APRÈS 10-6 SECONDE : LES PHOTONS PASSENT LA MAIN

Cette fois, le règne des photons touche vraiment à sa fin. Le thermomètre n'affiche plus que mille milliards de degrés. L'Univers est donc désormais trop froid pour leur permettre de contrecarrer l'attraction de la force forte. Malgré la poursuite du processus d'annihilation particule-antiparticule, qui continue de vider le cosmos, de nouveaux acteurs entrent en scène : les quarks s'unissent par groupes de trois, formant les neutrons et les protons.

APRÈS 10-4 SECONDE : LES PROTONS PRENNENT LE DESSUS

Le combat continue de faire rage entre particules et antiparticules. Seule une infime quantité de matière échappe au carnage cosmique. Pour l'essentiel, il ne reste bientôt plus en course que des protons, des neutrons et des électrons. Un équilibre précaire se forme alors entre les protons et les neutrons. Alors que les protons, entrés en collision avec un électron ou un antineutrino, se transforment en neutrons, ces derniers, à leur tour, se changent en protons lorsqu'ils rencontrent un anti-électron ou un neutrino. Pendant ce temps, la température continue de chuter dans le cosmos. Elle n'atteint bientôt plus "que" dix milliards de degrés, entraînant le "découplage" des neutrinos : ils cessent d'interagir entre eux et avec les autres particules de matière. Désormais relégués au rang de seconds rôles, ils ne participeront plus aux combinaisons qui vont aboutir aux formes plus complexes de matière. Du coup, aux alentours d'une seconde après le big bang, l'équilibre dynamique entre protons et neutrons se fige. Mais la force faible, qui s'exprime enfin, joue les trouble-fête : sous son action, une partie des neutrons se désintègrent en un proton, un électron et un neutrino. Résultat : le taux de neutrons se met naturellement à chuter alors que celui de protons ne cesse d'augmenter. Comme le proton est le noyau atomique de l'hydrogène, c'est la grande réserve d'hydrogène cosmique qui est en passe de se constituer.

APRÈS 1 SECONDE : NEUTRONS ET PROTONS S'UNISSENT

La température chute encore, et atteint un million de degrés : la force forte se met alors à jouer les marieuses entre les neutrons et les protons, ce qui entraîne la fin de l'hécatombe des neutrons. Car une fois lié au proton, le neutron ne se désintègre plus. Il était temps ! Car il ne reste plus dans l'Univers qu'un neutron pour sept protons. Les survivants s'unissent donc avec des protons et, au hasard des rencontres, forment de nouveaux éléments chimiques : essentiellement de l'hélium (assemblage de deux protons et deux neutrons), mais aussi, en très faible quantité, du deutérium (1 proton et 1 neutron), du lithium (3 protons et 3 neutrons) et du béryllium (4 protons et 4 neutrons). Après trois minutes d'existence, l'Univers contient 3/4 de noyaux d'hydrogène (un proton isolé), 1/4 de noyaux d'hélium et des traces de lithium, de béryllium et de deutérium. Le principal est fait. Il ne manque plus qu'une dernière étape pour voir éclore les atomes : la capture des électrons par ces noyaux.

APRÈS 3 MINUTES : LES ATOMES éMERGENT ENFIN

La force électromagnétique prend la casquette de metteur en scène. L'espace est en effet suffisamment froid - moins de 10.000 degrés - pour la laisser agir. Sous sa direction, les électrons libres se satellisent progressivement autour des noyaux qu'ils rencontrent. L'effet est de taille : jusqu'alors, l'Univers était opaque, car les photons, malgré leur prépondérance, étaient constamment absorbés (puis éjectés) par les électrons et les noyaux atomiques. Mais avec le confinement des électrons autour des noyaux, l'espace se trouve nettoyé et les photons n'ont plus que rarement l'occasion de croiser de la matière. La plupart d'entre eux peuvent désormais poursuivre leur chemin sans jamais rencontrer de particules. L'Univers devient transparent et lumineux.

APRÈS 380.000 ANNÉES : LA GRAVITATION MODÈLE LE COSMOS

Jusqu'alors, il manquait un acteur majeur au scénario : la gravitation. Son intensité est en effet quasiment nulle face à celle des trois autres forces (un facteur de 10-38), c'est pourquoi elle n'a pas agi directement sur les particules. Maintenant que l'Univers s'est refroidi jusqu'à 4000 degrés Kelvin (soit 3.727°C, puisque O K = -273°C), elle entre en scène : les grandes structures cosmiques peuvent commencer à se former. En effet, jusqu'alors les atomes d'hydrogène et d'hélium (ainsi que les autres) se répartissaient de façon homogène dans le cosmos. Désormais, ce "brouillard" est fragmenté par la gravité : d'immenses grumeaux et filaments de matière cosmique vont alterner avec des zones quasiment vides. C'est de là qu'émergeront les amas de galaxies avec leurs milliards d'étoiles. Tandis qu'au cœur de ces astres, la fusion nucléaire de l'hydrogène et de l'hélium engendrera tous les éléments chimiques manquants. Une transformation continuelle de matière qui se poursuit aujourd'hui. Le film est encore loin d'avoir atteint son épilogue.

R.I. - SCIENCE & VIE Hors Série > Septembre > 2008
 
 

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