Quand le Ciel nous Tombera sur la Tête

Les Gaulois n'avaient pas tord d'imaginer le ciel comme une voûte d'ou pourrait surgir l'apocalypse. Car les scientifiques en sont désormais sûrs : notre petite planète vit sous la triple menace d'un astéroïde géant venant la percuter, d'une galaxie fondant sur elle et du Soleil finissant par l'embraser toute entière. Certes, ce n'est pas pour demain... Il n'empêche ! D'ici à 7 milliards d'années, le ciel va bel et bien nous tomber sur la tête. - Par Cyrille Baudouin et Valérie Greffoz - SCIENCE & VIE > OCTOBRE > 2007

D'ici à 500 000 ans : Un astéroïde plongera la Terre dans la nuit

Les scientifiques sont formels : un jour ou l'autre, un gros astéroïde va s'écraser sur Terre, engendrant d'irréversibles dégats chez les espèces vivantes. Mais d'autres, plus petits, ne sont pas moins à craindre, car bien plus nombreux...

Venu de l'espace, un mastodonte de 10 km de large fonce vers le sol. Arrivant à plus de 90.000 km/h, il a déjà pulvérisé l'atmosphère terrestre... Et puis, c'est l'impact. En un instant, une énergie de 5 à 10 milliards de fois plus grande que celle de Little Boy, la bombe larguée sur Hiroshima par les Américains en 1945, est libérée. Le choc est tel qu'il creuse un cratère de 200 km de diamètre. Quant à l'onde de choc, elle dévaste instantanément toute trace de vie dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres. Mais le pire est à venir. Car dans l'air, la croûte terrestre éjectée, mélangée à la poussière de l'astéroïde dévastateur, forme un nuage sombre qui, peu à peu, commence à recouvrir la planète. Débutera alors un "hiver nucléaire", pouvant durer des mois, peut-être des années, durant lesquelles la température chutera d'au moins 4 à 5°C. Privées de l'indispensable lumière du soleil, les plantes cesseront d'accomplir leur photosynthèse... et c'est toute la chaîne alimentaire qui se déréglera progressivement. C'est également ainsi que, au terme de cette nuit noire et glaciale, se produira un formidable effet de serre dû au gaz carbonique présent dans l'atmosphère et qui, lui, s'éternisera pendant plusieurs dizaines de milliers d'années. Au final, le bilan est tragique : 75 % des espèces vivant sur Terre vont disparaître.

Scénario de science-fiction ? Nullement. D'ailleurs, tout cela s'est réellement passé... il y a 65 millions d'années, les scientifiques en sont aujourd'hui convaincus. Le cratère de 200 km de diamètre ? Il existe vraiment, au nord de la péninsule du Yucatan, au Mexique. Cicatrice indélébile du cataclysme qui a mis fin à 165 millions d'années de règne des dinosaures et qui, en contrepartie, a favorisé l'essor des mammifères, marquant la transition entre le Crétacé et l'ère Tertiaire. Oui, tout cela s'est bel et bien passé... et aura à nouveau lieu. Les statistiqtus ne laissent aucun doute là-dessus. Car d'après l'observation des astéroïdes et autres comètes qui errent dans le système solaire, couplée aux modélisations des astronomes, il y a en moyenne un objet d'une dizaine de kilomètres de large qui croise la course de la Terre tous les 100 millions d'années. En d'autres termes, d'ici à quelques dizaines de millions d'années, l'un des frères du bolide qui a exterminé les dinosaures aura probablement mis fin à la plupart des espèces vivant sur Terre. Nous y compris, si tant est que l'homme existe encore à ce moment-là... Cela pourrait cependant arriver bien avant. Car nul besoin d'un astéroïde ou d'une comète d'une taille aussi gigantesque pour provoquer un dérèglement climatique à l'échelle planétaire ! Selon les spécialistes, un objet avoisinant le kilomètre de diamètre peut déjà créer de tels dégats. Or, il en tombe en moyenne un tous les 500.000 ans, ce qui commence à réduire singulièrement notre horizon.

OBJETS ERRANTS IDENTIFIÉS

Mais ce sont les astéroïdes de plus petite taille qui inquiètent finalement le plus les scientifiques. Non seulement parce qu'ils sont de loin les plus nombreux, mais aussi parce qu'ils sont les moins facilement détectables. Et il suffirait d'un objet de 140 mètres de diamètre pour ravager une région française. Pour l'instant, près de 400.000 objets errant dans le système solaire ont été identifiés, et 5000 sont découverts chaque mois, toutes tailles confondues. Bien sûr, tous ne sont pas des géocroiseurs, c'est-à-dire susceptibles de croiser la trajectoire de notre planète. A priori, ceux-ci représentent environ les deux tiers du nombre total de corps. "Le problème, c'est qu'ils évoluent de façon irrégulière, rappelle Patrick Michel, astronome à l'observatoire de la Côte d'Azur et spécialiste des astérodes. Pour un objet donné, on n'est jamais certain qu'il ne croisera pas la Terre." Le suivi de tous les corps est donc indispensable.

DETOURNER LES GÉOCROISEURS

Le problème est aujourd'hui suffisamment pris au sérieux pour que, fin 2005, le Congrès américain adopte le George E. Brown Jr. Near-Earth Object Survey Act, une loi pour la surveillance des objets évoluant à proximité de la Terre. L'agence spatiale américaine, la Nasa, fut ainsi chargée de rédiger un rapport présentant son programme de surveillance des géocroiseurs, ainsi que les moyens à mettre en œuvre pour détourner la trajectoire de ceux qui s'aventureraient un peu trop près de notre planète. Objectif : recenser 90 % des objets de plus de 140 mètres de diamètre d'ici à 2020. Ce rapport a été présenté en mars 2007 au Congrès américain. Seulement voilà, si la Nasa préconise bien de continuer la surveillance des corps de plus de 140 mètres de diamètre, elle indique que le budget de 4,1 millions de dollars, alloué annuellement à l'étude des astéroïdes, ne lui permet de s'occuper que des objets de plus de 1 km de diamètre. Ce qui n'a pas manqué d'irriter les membres du comité des sciences et des technologies de la Chambre des représentants, qui ont trouvé que le rapport n'offrait pas de plan crédible... et incité la Nasa à revoir sa copie.
Les 150 cratères répertoriés à la surface de notre planète, ou même la surface criblée d'impacts de la Lune, sont pourtant bien là pour nous rappeler à quel point ces collisions ont été fréquentes depuis la formation du système solaire, il y a 4,5 milliards d'années ("C'est déjà arrivé"). Mieux, les échantillons prélevés au cours des missions américaines Apollo au début des années 1970 ont permis aux scientifiques de calculer les probabilités d'impact en fonction de la taille des objets et, surtout, de montrer leur constance au cours du temps. Ainsi chacun des 20.000 astéroïdes de 140 mètres potentiellement dangereux répertoriés à ce jour croise notre orbite tous les 1000 à 3000 ans. Et bien que la Nasa se concentre sur les objets d'une taille supérieure à 140 mètres de diamètre, des objets de l'ordre de 50 mètres peuvent également créer d'importants dégâts, et il en arrive sur Terre tous les 100 à 1000 ans.

C'est déjà arrivé

2000 km² DE TAÏGA RAVAGÉS

Le dernier exemple en date remonte ainsi au 30 juin 1908. Le choc s'est produit dans un lieu heureusement reculé, en pleine Sibérie centrale, dans la région de Tunguska. Résultat : 2000 km² de taïga ravagés, des dizaines de millions d'arbres couchés et des populations se trouvant pourtant à des centaines de kilomètres du point d'impact témoignant avoir entendu la déflagration et vu une puissante lueur dans le ciel... Les hypothèses les plus farfelues coururent sur ce qui s'était passé ce fameux 30 juin. Vaisseau extraterrestre, explosion nucléaire... Aujourd'hui, les scientifiques pensent plus sérieusement qu'il s'agissait d'un géocroiseur d'environ 50 mètres. Avec cette taille, l'objet n'a pas eu le temps d'atteindre le sol : il a été littéralement pulvérisé dans l'atmosphère, entre 5 et 10 km d'altitude. Ce qui explique qu'aucun cratère n'ait alors été repéré sur place, ouvrant dès lors la voie aux élucubrations les plus folles.
Mais c'est peut-être désormais chose faite grâce à une équipe de géologues italiens dirigée par Luca Gasperini de l'Instituto di scienze marine, à Bologne. Leur étude, publiée en août 2007, suggère que le lac Cheko, situé à 8 km au nord de l'épicentre de l'événement, serait à l'origine un cratère, provoqué par le choc d'un débris d'une dizaine de mètres, issu de l'explosion atmosphérique du géocroiseur. Un choc violent puisqu'il a libéré une énergie de l'ordre du millier de fois celle d'Hiroshima. Pour en avoir le cœur net et procéder à des analyses approfondies, l'équipe retournera sur les lieux pour le centenaire de l'événement, en 2008. Un anniversaire qui nous rappelle que nous ne sommes pas à l'abri d'un accident majeur : il aurait suffi de quelques heures de plus pour que, rotation de la Terre oblige, l'impact se produise non loin de Londres...

"L'ADN DU SYSTÈME SOLAIRE"

Paradoxalement, l'adaptation de ces scénarios catastrophes, notamment par l'industrie du cinéma à travers des films comme Armageddon ou Deep Impact, a eu l'effet contraire de celui que souhaiteraient les spécialistes. "L'étude des astéroïdes souffre d'un certain manque de crédibilité, y compris dans le milieu scientifique", regrette Patrick Michel. Dommage, car, comme il se plaît à le rappeler, "les météorites sont l'ADN du système solaire, ses constituants primitifs". Pour trouver les budgets nécessaires à une meilleure évaluation du risque causé par la collision avec un astéroïde sans provoquer les sarcasmes, Patrick Michel met donc en avant les enjeux scientifiques : "Les budgets à consacrer sont minimes, de l'ordre du coût de quelques jours de guerre en Irak, mais le retour scientifique est énorme. Cela permettrait en plus de mieux connaître la structure interne des astéroïdes." Un argument qui semble convaincre, puisque l'agence spatiale européenne, l'ESA, prépare actuellement une mission à double objectif, baptisée Don Quichotte. Il s'agira d'étudier la composition d'un astéroïde, mais aussi l'effet d'un impact contrôlé sur sa trajectoire. Peut-être une première prise de conscience, de la part des décisionnaires européens, que le ciel peut vraiment nous tomber sur la tête... et qu'il ne s'agit ni d'une croyance ni d'un film, mais d'un fait scientifique !

Que pouvons nous faire ?

Tsunamis, tremblements de terre, éruptions volcaniques, cyclones... L'homme est bien impuissant face aux catastrophes naturelles. Certes, il peut les anticiper, préparer des plans d'évacuation... mais il ne peut pas empêcher ces phénomènes de se produire. Paradoxalement, c'est peut-être la plus grosse catastrophe naturelle imaginable, en l'occurrence la collision d'un astéroïde avec notre planète, qui constituera une exception. C'est en tout cas ce que pensent les scientifiques les plus sérieux, qui tentent d'envisager des solutions pour protéger notre planète d'un bolide spatial. Mais pas n'importe lequel ! Un de ceux dont la taille avoisine les quelques centaines de mètres, et qui constituent le danger le plus sérieux dans l'immédiat. Dans le rapport qu'elle vient de remettre au Congrès, la Nasa prône une solution qui avait été écartée depuis quelques années : l'option nucléaire. Non pas pour pulvériser un géocroiseur potentiel - ce qui provoquerait de dangereuses retombées radioactives - mais pour faire exploser une çharge à une distance telle que l'onde de choc dévierait l'astéroïde de sa trajectoire. Plutôt surprenant à l'heure des traités de non-prolifération nucléaire ! Il n'empêche, la déviation est actuellement la solution la plus étudiée. Notamment par la fondation américaine B612, qui réunit depuis 2002 scientifiques, ingénieurs et anciens astronautes de la Nasa, planchant sur le "tracteur gravitationnel". Comme son nom l'indique, il s'agit d'utiliser la force de gravitation d'un corps d'une vingtaine de tonnes placé en vol stationnaire à une centaine de mètres de l'astéroïde, afin de modifier légèrement sa trajectoire. Selon Patrick Michel, de l'observatoire de la Côte d'Azur, cette technique, qui pourrait s'appliquer à des objets mesurant jusqu'à quelques centaines de mètres, est "intéressante, mais requiert un positionnement très stable du tracteur difficilement réalisable en pratique".
Et les Européens dans tout ça ? L'ESA n'est pas en reste puisque la mission Don Quichotte, dont le lancement est prévu pour 2011, doit tester sur pièces une autre option. Il s'agit toujours de dévier un astéroïde de sa trajectoire, mais en lui faisant cette fois subir un impact. Un module de 500 kg (Hidalgo) percutera un astéroïde cible (de l'ordre de 500 m de diamètre, mais pas encore choisi), tandis qu'un autre (Sancho) se tiendra en orbite à proximité. L'objectif est d'étudier précisément, avant, pendant et après l'écrasment, l'effet de l'impact sur la trajectoire de l'astéroïde, et d'en déterminer la structure et la composition. Une étape indispensable pour envisager d'autres techniques un peu plus exotiques, telles que la poussée par un propulseur, la mise en place d'une voile solaire ou encore l'enduit de peinture noire provoquant une rotation de l'astéroïde par effet thermique : "Toutes ces techniques nécessitent une meilleure connaissance de la composition du sol des astéroïdes car si c'est du sable, comment y fixer le moindre objet ?" insiste Patrick Michel. Sans compter que ces solutions ne sont envisageables que si l'astéroïde menaçant a été découvert à temps. Ainsi, en janvier 2002, un objet d'environ 300 m, 2001 YB5 est passé à une distance équivalente à deux fois celle qui sépare la Terre de la Lune. Il a été découvert seulement un mois avant son passage. Un délai bien trop court pour intervenir s'il avait foncé sur nous...

Cyrille Baudouin - SCIENCE & VIE > Octobre > 2007

La Terre dans 50, 150 et 250 millions d'années

 
 

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