Cro-Magnon (PALÉOLITHIQUE) - Âge : - 40.000 à - 12.000 ans

Premier Astronome de l'Humanité ?

Lascaux, Cougnac... les grottes ornées sont orientées par rapport au soleil. Et leurs peintures révèlent des tables astronomiques ! Défendue par une chercheuse indépendante, cette audacieuse théorie boulverse notre regard sur Cro-Magnon. Et fait débat...

C'était il y a 30.000 ans et cela dura vingt millénaires : sur les parois des cavernes, Cro-Magnon s'applique à dessiner des bisons, des chevaux, des cerfs, des aurochs par milliers. De Lascaux à Cosquer, Chauvet ou Altamira, les noms de ces sanctuaires de l'art pariétal sont bien connus. Un art aussi énigmatique que sophistiqué, qui disparaît en même temps que le mode de vie nomade de ces chasseurs-cueilleurs il y a environ 12.000 ans, lorsque s'imposent l'élevage et l'agriculture qui marquent l'avènement du Néolithique. Enigmatique car, depuis les premières découvertes de grottes ornées, à la fin du XIXè siècle, ces émouvants dessins de la fin du Paléolithique n'en finissent pas de défier la science. Quelle est leur signification ? Qu'avait en tête Cro-Magnon lorsqu'il s'affirmait artiste ? Magie de la chasse, totémisme, chamanisme, reflet des représentations du monde... les théories n'ont pas manqué, sans qu'aucune recueille jamais l'unanimité. Au point que certains affirment que le sens de l'art pariétal faute d'écriture associée, est à jamais inaccessible. À moins que...

Car voici qu'une interprétation radicalement nouvelle vient relancer le débat. En un mot : les artistes préhistoriques ne se seraient pas contentés de figurer les animaux de leur environnement, ils consignaient également de rigoureuses données astronomiques, obtenues au cours de longues et patientes observations ! Cro-Mlagnon, premier astronome de l'humanité ? L'hypothèse bouleverse le regard porté sur notre ancêtre préhistorique, que personne n'imaginait capable de tels savoirs.
Sur quels travaux se base celle étonnante révélation ? L'histoire commence en Dordogne il y a huit ans, un soir de l'été 1999. Jean-Michel Geneste, conservateur de la célèbre grotte de Lascaux, a rendez-vous avec Chantal Jègues-Wolkiewiez. Cette archéoastronome indépendante, titulaire d'une thèse universitaire sur le site néolithique de la Vallée des merveilles dans les Alpes-Maritimes, s'est lancée dans une entreprise de longue haleine : rechercher dans les sites archéologiques des preuves des savoirs astronomiques de nos ancêtres. Ainsi les deux chercheurs se retrouvent-ils ce soir-là pour vérifier un fait crucial pour la compréhension de ce site majeur de l'art pariétal, pressenti par l'archéoastronome : l'orientation de la grotte en direction du coucher du soleil lors du solstice d'été. Adossés à l'entrée du sanctuaire paléolithique, ils observent le soleil qui décline sur le sommet de la colline. Peu à peu, l'astre vient se placer dans l'alignement du conduit d'accès à la cavité, inondant de lumière le lourd portail qui en protège aujourd'hui l'accès. "Les calculs prenant en compte la topographie du porche d'entrée de la grotte tel qu'il existait à l'époque paléolithique et la pente du boyau qui conduisait aux premières peintures ont montré que celles-ci étaient éclairées, lors du solstice d'été, par les rayons du soleil couchant", explique Chantal Jègues-Wolkiewiez. En clair : nos ancêtres auraient choisi cette cavité pour y assister, une fois par an, au spectacle de leurs peintures illuminées par l'astre solaire. Une révélation pour cet art habituellement associé à l'obscurité des cavemes... Mais comment en être sûr ? "La seule façon d'affirmer que la grotte avait été sélectionnée pour son orientation était de vérifier que ce phénomène se reproduisait dans d'autres sites ornés", répond Jean-Michel Geneste, qui pousse alors la chercheuse dans ce sens. Depuis ce premier résultat, que nous rapportions déjà en décembre 2000, les découvertes se sont succédé.

VERS UN POINT REMARQUABLE DE L'HORIZON... Au cours de vingt missions de terrain, la chercheuse s'est rendue sur 137 sites de Dordogne, du Lot, du Célé, de l'Ariège et de l'Yonne - la quasi-totalité des cavités ornées du pays -, appliquant la même méthode. Si l'entrée n'est pas condamnée, elle dirige le rayon d'une lampe torche vers l'intérieur de la cavité, pour repérer l'axe pénétrant le plus profondément dans la grotte. Et réalise un point GPS devant chaque porche, ainsi qu'une mesure avec sa boussole de précision. Ces données lui permettent d'estimer l'axe de l'entrée de la grotte à plus ou moins un degré d'angle. Résultats de l'étude, communiqués lors d'un congrès international qui s'est tenu au mois de mai dernier en Italie : toutes les cavités sont orientées vers un point remarquable de l'horizon. Plus précisément, 4 le sont vers le Nord, 22 vers le Sud, et la grande majorité (111 au total), vers le lever et le coucher solaire lors des solstices et des équinoxes. Pour la chercheuse, aucun doute : "Ces cavités ont été choisies car elles laissaient entrer la lumière solaire à des moments particuliers de l'année. "Les solstices et les équinoxes annoncent en effet le basculement des saisons : retour des beaux jours, entrée dans l'hiver ou fin de l'été.

Pour Jean-Michel Le Contel, astrophysicien et directeur de recherche honoraire au CNRS, qui a participé à l'étude, "cela prouve que les hommes du Paléolithique supérieur étaient capables d'observations complexes et prolongées des mouvements du soleil, de les reproduire et de les consigner. Cela implique des savoirs élaborés, connus pour les sociétés plus tardives du Néolithique, mais insoupçonnés à des périodes si anciennes".
Qu'en pense la communauté des préhistoriens ? Jean Clottes, pourtant partisan d'une lecture chamanique de l'art pariétal, reconnaît que "Chantal Jègues-Wolkiewiez a mis le doigt sur une piste intéressante. Il paraît plausible que les peintres aient observé les mouvements du soleil, et les aient transcrits dans leur art, même si cela devra encore être confirmé par des travaux pluridisciplinaires". Mais la plupart de ses confrères sont sceptiques. Au point de refuser la publication de cette hypothèse dans les comptes rendus de l'Académie des sciences ! Pour eux, l'orientation des grottes s'explique par des raisons géologiques, au moins en Dordogne : "L'axe des cavernes y est souvent de direction dite armoricaine, c'est-à-dire orientées sud-est/nord-ouest, car ces cavités ont été formées suivant l'axe des failles géologiques ". Pour Chantal Jègues-Wolkiewiez et Jean-Michel Le Contel, l'argument ne tient pas : "Il suffit de consulter une carte des grottes de la région pour constater qu'elles sont orientées vers les 360° de l'horizon. Si toutes celles qui sont ornées sont orientées de façon particulière, c'est qu'il y a bien eu choix délibéré". Une controverse qui ne pourrait être tranchée que par l'étude exhaustive des cavités géologiques existant dans les vallées occupées par nos ancêtres, afin de montrer que les grottes vierges de toute ornementation sont orientées de façon aléatoire... Fait établi par l'archéoastronome pour les cavités situées à proximité dessites ornés étudiés. Autre point à approfondir : la précision des mesures d'orientation, car c'est toute seule que la chercheuse a réalisé ces dernières, qui plus est sur un terrain très accidenté.
En attendant, Chantal Jègues-Wolkiewiez ne s'est pas arrêtée en si bon chemin. En reliant l'orientation des sites ornés à leurs datations, établies par les archéologues grâce au carbone 14 ou à l'analyse stylistique des figures, elle constate que deux périodes marquent l'art pariétal. Lors de la période plus ancienne, débutée il y a 35.000 ans, nos ancêtres ornaient de préférence des cavités orientées vers le soleil levant ou couchant du solstice d'hiver, comme à Cougnac et Rouffignac. Puis, à partir de 22.000 ans, les peintres ont privilégié des cavités éclairées par le soleil levant ou couchant du solstice d'été, comme à Pech Merle et à Lascaux. Les grottes tournées vers les équinoxes se répartissent, elles, de façon aléatoire dans le temps.

Coupe de l'entrée de la grotte tracée par Cl. Bassier, (fig 22, 24, 27) "Lascaux inconnu". Arlette Leroi-Gourhan et Jacques Allain. Direction du faisceau lumineux du soleil au moment du coucher solaire du solstice d'été.

AUX CONFINS DE DEUX DISCIPLINES

L'archéoastronomie recherche les preuves de l'observation des phénomènes célestes chez les peuples anciens, vraisemblablement dans le cadre de pratiques cultuelles. Pour cela, le chercheur étudie les vestiges archéologiques, dont il tente de mettre en évidence l'orientation vers des points remarquables du ciel : constellations, levers et couchers d'étoiles, du Soleil et de la Lune. Née à la fin du XIXè siècle, la discipline s'est développée a partir des années 1970, à la suite des travaux de l'Ecossais Alexander Thom sur les monuments mégalithiques. Pas tout à fait constituée en science, elle est exercée par des chercheurs venus d'horizons divers : astronomes, géomètres, mais aussi passionnés plus ou moins compétents. Cette absence de statut a joué des tours à l'archéoastronomie, ou se côtoient travaux sérieux et délires plus ou moins ésotériques. Ce qui explique les reticences du milieu scientifique, en particulier en France, à admettre ses apports... Pourtant, l'archéoastronomie, et plus largement l'histoire de l'astronomie, a contribué a lever le voile sur les préoccupations cosmologiques de nos ancêtres. Il est aujourd'hui admis que de nombreuses constructions, comme les mégalithes d'Europe occidentale, les pyramides d'Egypte ou les temples mayas, ont été conçus dans le cadre de cultes liés au mouvement des astres.

DES ANIMAUX PEINTS AU MOMENT DES SOLSTICES : Plus étonnant encore, il existerait des correspondances entre des détails anatomiques des animaux et le moment où le soleil pénètre les cavités. Ainsi, dans le site baptisé "l'Abri du Poisson", sur les bords de la Vézère en Dordogne, un saumon a été gravé avec la machoire inférieure recourbée, caractéristique de la période de reproduction, en décembre. Soit la période précise où le soleil pénètre dans l'abri...
À Lascaux, c'est un panneau représentant deux bisons adossés dont les queues s'entrecroisent qui intrigue la chercheuse. Des détails anatomiques - le pelage et l'érection - indiquent que celui de gauche a été figuré en cours de mue et celui de droite en rut. Ce qui correspond, respectivement, au début du printemps et à l'automne. Or, en mesurant avec son compas de relèvement la direction des deux figures pariétales, la chercheuse a découvert que chaque bison était orienté vers le lever du soleil de la saison correspondant aux attributs figurés : solstice d'été pour le bison de gauche, solstice d'hiver pour celui de droite. Quant au point où se croisent les deux queues, il apparaît orienté vers le soleil levant des équinoxes de printemps et d'automne, qui se situent chronologiquement à mi-chemin, sur le trajet annuel de la course du soleil, entre l'éte et l'hiver. S'il s'agit d'une coïncidence, elle serait extraordinaire...
D'autant que lier l'art pariétal à la succession des saisons rejoint une étude, très poussée, menée à Lascaux par Norbert Aujoulat, son meilleur spécialiste actuel. Entre 1976 et 1999, ce chercheur en a analysé les figures au regard des informations issues de l'éthologie. Et établi que certains animaux sont représentés avec des attributs qui renvoient à des saisons différentes : hiver et début du printemps pour les chevaux, été pour les aurochs, automne pour les cerfs. Or, ce sont justement les périodes au cours desquelles ces animaux se reproduisent. Conclusion : "À travers le défilement des saison, c'est la dimension temporelle qui est figurée sur les parois de la grotte. Lascaux a été peint pour transmettre un mythe originel sur la création de la vie". Dans les années 1950, André Leroi-Gourhan avait déjà montré que les animaux étaient répartis dans les cavités de manière très structurée, mettant en évidence la dimension spatiale de l'art pariétal. L'étude de Norbert Aujoulat introduit la dimension temporelle qui manquait à sa compréhension.
De toutes ces découvertes, c'est un Cro-Magnon totalement inédit qui se révèle. On le savait excellent chasseur, habile tailleur de silex, dessinateur hors pair, chimiste aguerri (capable de contrôler la cuisson des minéraux pour obtenir des pigments artificiels ou des outils plus tranchants)... On le découvre observateur avisé de la course du soleil et fin connaisseur des cycles saisonniers. Surprenant ? Pas tant que cela, pour des hommes attentifs à tous les rythmes de la nature. "Le fait de repérer les solstices et les équinoxes permettait certainement à nos ancêtres de mesurer le temps, d'anticiper les changements de saisons et de se préparer en conséquence pour les migrations des grands troupeaux", analyse Jean-Michel Ceneste.
A Lascaux, ces bisons sont orientés vers le lever du soleil de la saison correspondant aux attributs figurés (mue et solstice d'été à gauche, érection et solstice d'hiver à droite).

ET SI LASCAUX ÉTAIT UNE CARTE DU CIEL ? Mais Chantal Jègues-Wolkiewiez va encore plus loin. Car selon elle, les peintres de Lascaux ne se seraient pas contentés de suivre les mouvements du soleil, ils auraient aussi observé les constellations étoilées, pour les reporter, sous forme d'animaux, sur les parois de la grotte. Plusieurs chercheurs avaient dejà remarqué que la forme en encorbellement de la principale salle de Lascaux évoquait celle de la voûte céleste. Et que des groupes de points ressemblent au dessin de certaines constellations, comme les Pléiades. Mais de là à considérer la grotte comme une carte du ciel... En fait, l'archéoastronome a supposé que si carte du ciel il y a, il devait s'agir de celle de la nuit qui suivait l'éclairement de la grotte par le soleil solsticial. Elle a donc calculé la position, cette nuit-là, des principales constellations situées sur l'écliptique, c'est-à-dire le trajet apparent du soleil. Puis, elle a comparé la position de ces constellations avec l'orientation des principales peintures, au cours de sept séances de mesures dans la grotte. Verdict de la chercheuse : la concordance entre les deux structures, l'une formée par les groupes d'étoiles et l'autre par la succession des animaux peints, indique que les peintres ont bien représenté une carte du ciel dans la cavité. Si ces résultats se confirmaient, ils impliqueraient que Cro-Magnon ait consacré un temps et une énergie considérables à étudier les mouvements des étoiles. Acquérant ainsi de véritables connaissances astronomiques plusieurs millénaires avant la naissance de cette discipline, il y a 6.000 ans en Mésopotamie.

Dans quel but ? Pour Chantal Jègues-Wolkiewiez, la réponse est à chercher du côté des croyances de nos ancêtres : "Les grottes ornées étaient des sanctuaires réalisés dans le cadre de cultes liés au mouvement des astres. Des cultes conduits par des spécialistes de la mesure du temps, capables de prédire l'entrée de la lumière dans les cavités, ou la survenue de certains événements astronomiques remarquables, comme l'apparition d'une étoile ou d'une constellation à un moment précis de l'année. On peut imaginer qu'ils célébraient à Lascaux la mort symbolique du soleil, qui culmine lors de l'été puis décline jusqu'au solstice d'hiver, avant de renaître et retrouver toute sa vigueur... Les figures peintes correspondaient peut-être à des divinités de leur panthéon animal, projetées dans le ciel". Que cet art ait servi de support aux croyances du Paléolithique, seules capables d'expliquer sa durée dans le temps, s'accorde avec les conceptions actuelles héritées d'un siècle de recherches.
Pour autant, l'hypothèse d'une correspondance entre peintures et constellations est loin d'être acceptée. Premier argument, opposé, entre autres, par Norbert Aujoulat et jean Clottes : le nombre d'étoiles dans le ciel et de points constituant les peintures pariétales offre une telle quantité de combinaisons que toutes les démonstrations sont possibles. Réponse de la chercheuse : "Ce sont deux structures, l'une formée par les étoiles les plus brillantes situées sur l'écliptique, et l'autre par les points saillants des peintures qui sont comparées, et non pas des points pris au hasard." Plus ennuyeux : la date sur laquelle se base l'archéoastronome pour reconstituer la carte du ciel - il y a 17.000 ans - est remise en cause par des datations de fragments de sagaie en bois de renne, réalisées en 2000, qui vieillissent l'âge des peintures de près de 2000 ans. La carte ne serait donc pas correctement datée... Mais au-delà de ces problèmes de calcul, l'idée même que les tribus de chasseurs cueilleurs aient maîtrisé de tels savoirs astronomiques a du mal à passer. Certaines constellations censées être représentées sur la paroi n'étaient pas visibles au moment de la réalisation des peintures, car situées sous la ligne de l'horizon : "Cela implique qu'ils en aient calculé au préalable les positions, pour les reporter ensuite sur les parois, ce qui paraît improbable", analyse Brian Hayden, spécialiste du Paléolithique à la Simon Frazer University (Canada), pourtant convaincu par l'étude sur l'orientation des grottes et abris ornés. Enfin, pour reporter les observations astronomiques dans la grotte, il fallait que nos ancêtres possèdent des outils et des méthodes... qui resteraient alors à découvrir. Chantal Jègues-Wolkiewiez évoque ici l'emploi de cordes, de gnomons et de bâtons percés, compatibles avec les découvertes archéologiques. Mais que personne n'ose interpréter ainsi.

ASTRONOMES ET PRÉHISTORIENS DOIVENT COOPÉRER : La chercheuse, elle, n'hésite pas à appliquer son hypothèse astronomique à l'un des objets préhistoriques les plus mystérieux, conservé au Musée des antiquités nationales à Saint-Germain-en-Laye : une petite plaquette osseuse, datée de 35.000 ans (soit bien avant Lascaux) et exhumée dans l'abri Blanchard, en Dordogne, sur laquelle sont gravées 69 minuscules incisions en forme de cercle ou de croissant. Elle s'y est intéressée après avoir lu les travaux d'un scientifique américain, Alexander Marshack, qui affirmait dans les années 1970 que ces incisions représentaient les phases de la lune. Or, en comparant le tracé des incisions (relevé au musée) avec celui du parcours de la lune vu depuis l'abri Blanchard (obtenu par calcul), Chantal Jègues-Wolhewiez apporte la démonstration qui manquait à l'hypothèse de Marschack : la plaquette osseuse représenterait bien deux cycles lunaires superposés ! Pour Jean-Michel Le Contel, il ne fait pas de doute que l'objet constitue un calendrier lunaire, témoignant de l'une des premières tentatives de mesure du temps. Publiée dans la revue Antiquités nationales, l'étude est également jugée "très convaincante" par Brian Hayden, pour qui une élite paléolithique exploitait les connaissances astronomiques pour affirmer son pouvoir, comme au XXè siècle, dans des tribus indiennes d'Amérique du Nord.
Mais là encore, pour d'autres préhistoriens, les plaquettes comme celle de l'abri Blanchard n'ont rien à voir avec la lune. Francesco d'Errico, du CNRS et de l'université de Bordeaux 1, estime que les stries constituaient plutôt des codes complexes, permettant de mémoriser, pour la première fois hors du cerveau humain, des informations d'ordre pratique ou rituel... Des codes baptisés "systèmes de mémoire artificielles", à rapprocher des chapelets actuels. Alors, l'art pariétal a-t-il été réalisé dans le cadre d'observations astronomiques ? À défaut de certitudes, les éléments avancés sont suffisamment étayés pour que cette approche soit poursuivie. D'autant que les implications sont énormes. "La découverte de connaissances astronomiques extrêmement structurées, faisant l'objet de transmission de génération en génération, bouleverse notre façon de penser le monde préhistorique, analyse Jean-Michel Geneste. D'où l'importance que de tels faits soient confirmés par des recherches pluridisciplinaires. "Une chercheuse indépendante ne peut en effet porter un tel projet. Il faudrait qu'astronomes et préhistoriens cessent de se tourner le dos. Mais comme en témoigne Norbert Aujoulat, "le milieu des préhistoriens n'est pas prêt à accepter de telles approches astronomiques". Excès de certains archéoastronomes voulant tout expliquer grâce au ciel, méfiance vis-à-vis de scientifiques ne faisant pas partie du sérail, comme Chantal Jègues-Wolkiewiez, ou encore crainte depuis le règne de Leroi-Gourhan d'oser toute approche novatrice... Autant de raisons qui expliquent ces réticences de la part des préhistoriens. De leur côté, les astronomes doivent encore se familiariser avec les méthodes de l'archéologie, de plus en plus pointues. L'enjeu n'est rien d'autre que la compréhension d'une page majeure de notre histoire, tracée il y a des millénaires au fond des grottes ornées.
Chantal Jègues-Wolkiewiez a montré que cette plaquette, vieille de 35.000 ans, représentait deux cycles lunaires superposés, en comparant le tracé des incisions avec celui du parcours de la lune vu depuis l'abri Blanchard.

P.L. - SCIENCE & VIE > Novembre > 2007
 
 

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